Chroniques

Les médias dans le davoscène : information ou performation ?

Quand dire, c’est faire. John Langshaw Austin désignait par ce titre ce que l’on appelle la valeur performative du langage. Certains énoncés sont en eux-mêmes les actes qu’ils désignent, comme les formules rituelles ou magiques. Ce caractère performatif s’ajoute à la fonction traditionnelle du langage qui est de rendre compte du réel, d’en manifester le contenu, la forme ou toute autre caractéristique. Or, cette dimension performative paraît profondément caractériser l’utilisation du langage par les médias et les chaînes d’information d’où les manipulations dont les auditeurs et les spectateurs sont les objets depuis de nombreuses années. 

L’information est, on le voit, un enjeu stratégique majeur. Elle contribue théoriquement à l’accroissement des connaissances individuelles et collectives. Elle est un des ciments de la Nation, fondée sur la coexistence d’êtres libres et informés dans le cadre d’un destin commun. L’ « ère de l’information », évoquée par Manuel Castells à la fin des années 90, s’est construite pas à pas.  Théophraste Renaudot fait paraître la Gazette de manière hebdomadaire à partir du 30 mai 1631. Le XVIIème siècle voit la naissance de revues diversifiés qui vont de la presse mondaine, aux pamphlets jusqu’à ce que l’on appellera les grands reportages, manifestant la curiosité de l’époque pour des civilisations ou des cultures allogènes. Au XVIIIème siècle, cet engouement pour l’information correspond à l’extension de l’esprit des Lumières avec l’essor de journaux thématiques qui correspondent à l’idéal encyclopédique de connaissances spécifiques, pratiques et techniques. Le XIXème siècle est une conquête de la liberté de la presse qui commence sous la Restauration et aboutit à la loi du 29 juillet 1881. Avec l’émergence d’une presse économique et financière, l’information devient le reflet de l’état du monde, de ses tensions critiques voire de ses scandales. Qualifié de 4ème pouvoir ou de « Quatrième État » par Edmund Burke en 1787, il est censé représenter le pouvoir de la « société civile » face aux pouvoirs institutionnels. L’invention du télégraphe par Charles Wheatstone en 1836 va permettre de faire coïncider le temps de l’événement et celui de son information, changement fondamental puisque les organes d’information vont dès lors amorcer une bataille de la nouvelle fraîche et lutter pour manifester, en temps presque réel, l’état du monde. Ce que l’on gagne en instantanéité quotidienne, on le perd en distance critique et en réflexion, distance que les revues hebdomadaires et la presse d’opinion vont tenter de retrouver. La « société de l’information » est ainsi un système fondé sur l’adéquation du discours avec le réel qui contribue à organiser la société autour du traitement et de la transmission de l’information. Celui qui détient l’information détient le pouvoir, il détient les clés du réel, s’en fait une représentation plus juste qui va lui permettre d’en tirer profit.

Or, cette société de l’information s’est muée en société de la performation. L’information s’est éloignée de cet idéal de transparence à l’égard du réel. Elle n’a plus pour vocation de le traduire – même si cela a souvent donné lieu à de belles infidèles… – mais elle a pour fonction de le créer. Cette fonction est particulièrement manifeste depuis le lancement de la Grande réinitialisation, le 3 juin 2020, par le Prince Charles et Klaus Schwab. Le langage dit informatif a perdu sa vocation première et s’ingénie créer du réel. Dans la société de l’information, le réel demeure premier et le discours second même quand il le maquille, le cache ou le travestit. Dans la société de la performation, le discours est premier et le réel second. Le discours n’a plus d’attache dans la réalité et c’est ainsi que les séquences informationnelles, souvent longues, répétitives peuvent être construites sur des trames narratives totalement fantasmagoriques : le changement climatique d’origine anthropique, la vaccination protectrice contre le Covid-19, l’agression unilatérale de la Russie à l’encontre de l’Ukraine. On pourrait mettre ses fictions sur le compte d’erreurs d’analyse mais ce serait faire trop de grâce à la Caste politique et médiatique qui a tout intérêt à nourrir ce que l’on appelle désormais des « narratifs ». Le terme « narratif », employé par la Caste elle-même biberonnée à la rhétorique des cabinets de conseils, trahit lui-même la dimension fictionnelle du discours informationnel contemporain. Ces narratifs sont la trame sur laquelle se joue la manipulation politique des masses. Il s’agit de construire un réel parallèle, aussi virtuel que le contenu des casque VR. C’est tout simplement du Bernays 2.0, une fabrique du consentement à partir de la fabrique du réel. A l’époque de Bernays, le réel était travesti, caché. Il est aujourd’hui recréé, réécrit, enfermé dans la trame de discours performatifs. Quand dire, c’est faire… 

Le davoscène est l’ère de la fabrique du faux réel, ce que Renaud Camus appelle dans son excellent néologisme le Faussel. Dans le davoscène, en effet, A ­­= non-A, ce qui est, n’existe pas. Ce qui n’est pas accède en revanche au statut de vérité. C’est le contraire du principe aristotélicien d’identité. C’est la raison pour laquelle, cette notion d’identité est, on le sent, un enjeu stratégique si fort aujourd’hui. Dans les deux piliers du davoscène, le Grand Remplacement et le Great Reset, les identités sont brouillées, le réel est travesti en son contraire puis littéralement recréé : les syntagmes comme « quartiers populaires », « Français », « République », « vivre ensemble », « Europe », « État de droit », « santé », « monnaie » désignent l’exact contraire de ce qu’ils sont. Ces mots ont une sorte de pouvoir magique. Dès qu’ils sont ne serait-ce que prononcés par les médias ou les politiques, le réel qu’ils représentent disparaît aussitôt : où est le peuple dans les « quartiers populaires » ? Où est la res publica dans la « République », où est le droit dans l’« État de droit » ? Où est l’Europe dans l’« Union européenne » ? Où est la santé dans la « politique sanitaire » ? Où est la nature dans l’« écologie » ? Où sont les Français dans les « Français » ? Le métaverse commence là, indépendamment même de tout support numérique. 

C’est ainsi qu’il faut interpréter, semble-t-il, le lexème disqualifiant de « complotisme ». Le complotisme est la dénonciation de cette fictionnalisation du réel. Le complotiste, nommé ainsi par les médias, est celui qui tente de reconstruire le réel derrière le discours performatif qui l’a totalement travesti. Un véritable travail d’investigation est dès lors nécessaire. Il convient de traduire les mots, comme le ferait le traducteur d’une langue étrangère, de traverser le rideau de la scène et d’accéder aux coulisses, aux machines qui sont véritablement à l’œuvre dans le théâtre politique qu’est le davoscène. Il s’agit d’en étudier alors l’ingénierie et d’en rendre compte par les mots les plus transparents possibles, qui en décrivent le mécanisme. La division instaurée par la Caste politico-médiatique entre bons citoyens et complotistes montre bien que le langage est une chasse gardée, et nous sommes sommés de ne pas y toucher. Aussi faut-il, comme le souhaite Emmanuel Macron, des états généraux de l’information. Aussi, Thierry Breton a-t-il rappelé à Elon Musk en juin 2023 les exigences du Digital Service Act, règlement européen du 19 octobre 2022 devant entrer en vigueur en août 2023. Les grands chaînes d’information, les grands titres de presse, et la Caste qui en tire les ficelles – il suffit de regarder la structure actionnariale de groupes comme Altice, Bouygues et bien d’autres – ont le souci de garder le monopole du discours car elles ont ainsi le monopole de ce qui est réel et de ce qui ne l’est pas. Ainsi, dès que les hordes de jeunes détruisent des magasins, la possibilité d’une action de l’ « extrême-droite » est tout de suite envisagée. Ce réel d’apparât construit par les metteurs en scène du davoscène doit pouvoir se substituer à la vérité. Il doit leur suffire de dire pour faire et pour faire être. Le davoscène est, pour paraphraser Castells, l’ère de la « performation ».

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