
Un terme me paraît définir, plus que jamais, la situation de la France aujourd’hui : celui de « chantier ». Ce terme a été employé trois fois dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron en 2022. En avril 2023, le Président lançait « trois chantiers prioritaires ». Le terme « chantier » est continûment utilisé par ses ministres, jusqu’à celui de l’Éducation Nationale qui évoque un « vaste chantier » pour la prise en compte plus sévère de l’orthographe au baccalauréat. Or, le mot, en dehors de son acception courante dit, semble-t-il, quelque chose sur la conception des politiques publiques à Davosfrance et plus généralement sur le destin que nos dirigeants préparent à la France.
Il suffit de marcher dans nos villes pour apercevoir la multiplication de chantiers : réfection de façade, construction de projets immobiliers, réaménagement des rues pour piétonniser ou pour ouvrir des pistes cyclables. Tout est mis en chantier avec son lot de signalisations, de plots jaunes, de grilles, de lignes jaunes sur la chaussée recouvrant d’anciennes lignes blanches, rendant ainsi illisible la circulation dans les villes. Le chantier impose une forme de laideur dans la ville. Il éduque en quelque sorte les passants à l’inesthétique, au transitoire, à l’informe. Il lui fait oublier la forme, la construction achevée, historique, celle qui, massive, et déjà-là, le contemple du haut de ses siècles. Le chantier surimpose sa laideur à la beauté des monuments anciens, comme s’il était une tentative d’effacement de l’histoire voire de son abolition. Le chantier théoriquement est inscrit dans le temps. Or, comme à un chantier succède un autre chantier, il finit par s’installer dans une permanence et s’intégrer au paysage urbain. Il est une sorte de happening du davoscène, une parodie de monument, métallique et plastique, toujours changeant, qui cache l’épaisseur et la stabilité rassurante de la pierre. Il masque durablement la beauté par la laideur.
Le chantier est aussi la suggestion de l’amélioration continue. Il est, en théorie, le moyen de passer d’un état stable, l’objet ancien, à un autre état stable, le nouvel objet construit ou restauré. Or, le chantier, à Davosfrance, est une fin en soi. Il semble être installé dans les villes pour suggérer que tout est en mouvement dans un processus d’amélioration continue comme le prône le management postmoderne. C’est la méthode agile, spectacularisée, appliquée à l’aménagement urbain pour montrer le mouvement permanent, la destruction créatrice, l’instabilité fertile de toute chose. Il est, de ce point de vue, une mise en scène. Le Chantier est un théâtre, celui du Chaos qui prépare la promesse d’un Ordo, d’un ordre nouveau. C’est la mise en scène de la « Révolution », l’ouvrage programmatique d’Emmanuel Macron sorti en novembre 2016. Le Chantier est ce qui met en marche le renouveau. Il en est la phase préparatoire. C’est aussi la mise en scène d’un New Deal postmoderne qui surjoue la prospérité économique avec de l’argent public qui n’existe pas. C’est la mise en scène d’une prospérité illusoire dans une France qui, objectivement, s’appauvrit.
Le Chantier, qui draine cet imaginaire de la France en perpétuelle reconstruction et qui fait la promesse d’une prospérité heureuse, produit l’exact contraire. Une impression de tiers-mondisation délétère qui rend visible le Bidon-Monde évoqué par Renaud Camus.
Mais le Chantier est aussi et surtout la métaphore de la Grande Réinitialisation. Le Chantier a pour vocation de construire ou de réparer ce qui est obsolète. Dans Des origines du mondialisme à la Grande réinitialisation, Pierre Hillard a brillamment commenté cette très instructive Une du Time de novembre 2020 qui représente un monde en chantier, littéralement enserré dans des échafaudages destinés à en organiser la réparation. Pierre Hillard rapproche cet imaginaire du Chantier du Tikkoun Olam (la grande réparation) de la tradition kabbalistique : le monde en obsolescence doit être réparé, réinitialisé, la religion de l’Incarnation étant une errance qu’il convient, selon les mondialistes, d’anéantir. Cette Une est, du reste, passionnante car un morceau de la lithosphère est ouvert et la terre y apparaît comme un globe vide, sans manteau ni noyau, simplement soutenu par une architecture métallique. Le Chantier a manifestement pour vocation de réparer l’extérieur de la terre mais aussi et surtout d’en refaire l’intérieur. C’est, on peut le craindre, un Chantier non seulement politique mais aussi spirituel que nous prépare Davos.
La France, « Fille aînée de l’Eglise » a été sommée de devenir une Nation, une République accidentellement française, un Hexagone. Elle est aujourd’hui réduite à n’être qu’un Chantier, le laboratoire à ciel ouvert d’une ingénierie sociale sordide que l’on peut vérifier à chaque séquence politique : Pandemia, Polemia, Penuria. Davos considère que la France est un Chantier stratégique pour sa Réinitialisation car s’ils font tomber la France, « Fille aînée de l’Église », la partie est gagnée…

Le mot « chantier » est en effet très utilisé par la nomenklatura qu’elle soit nationale, régionale ou locale. C’est la démonstration qu’on fait quelque chose. Outre, la laideur et la gêne occasionnée, ce n’est que de l’agitation semblable à celle de cloportes sous l’écorce d’un arbre mort. Cette agitation est souvent générée par la percée conceptuelle du matin d’un grand chef quelconque suivie par une frénétique excitation des marmitons de l’entreprise ou de l’administration. Cela dure quelques mois ; au mieux, quelques années et l’agitation retombe. Les chantiers réalisés tombent rapidement en ruine, soit dégradés soit du fait des médiocres matériaux. Quant au sort de la France, « Fille aînée de l’Église », elle est prise en ciseaux entre l’emprise des réseaux vieillissants maçonniques et la montée en puissance d’un Islam politique. C’est désormais une petite puissance moyenne ayant eu certes un passé glorieux mais ayant à présent un avenir de pays en voie de sous développement. La suite ne va pas être très belle à voir : violences, répression, verrouillage dans un contexte grandissant de partition, sécession et libanisation. Le 14 juillet qui se prépare risque d’être une magnifique illustration de l’accentuation de la courbe descendante de ce qui fut une grande nation et qui est désormais un dépotoir.
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