Yves PEREZ annonce le programme : montrer au lecteur les vertus du protectionnisme en tirant les « surprenantes leçons du passé » comme il l’annonce dans le sous-titre de son ouvrage.
L’auteur positionne son texte par rapport à la vulgate mondialiste dominante. La prospérité d’une économie dépend de son degré d’ouverture au marché international et les dysfonctionnements de l’économie mondialisée proviennent de certains intrus qui ne jouent pas le jeu de la libre circulation des biens, des hommes et des capitaux. Il conteste bien sûr ce postulat et s’attache à en démontrer l’inanité à la lumière de l’économiste allemand Friedrich LIST.
Yves PEREZ se plonge pour cela dans l’histoire économique récente (1870-1974) pour mieux comprendre les atouts et les faiblesses de l’économie française. Dans des sociétés européennes encore essentiellement rurales, les avantages comparatifs de la France sur le blé donnaient à notre pays une position dominante, contestée dès les années 1870 par le développement des échanges et le désenclavement accéléré des économies d’où la « Grande dépression agricole » des années 1873-1896. Sur le plan industriel, la France est pauvre en charbon contrairement au Royaume-Uni et à l’Allemagne, ce qui fragilise son indépendance énergétique et nuit à sa compétitivité. A partir de cette époque, la France est dépassée par le Royaume-Uni, l’Allemagne, les États-Unis et tous les voyants économiques sont dans le rouge. La division internationale du travail et la libéralisation des échanges dans une économie ouverte nuit à la position française. S’impose donc le choix stratégique de régulations dans une « économie protégée » qui a pris les formes suivantes : mise en place notamment par Jules Méline d’une politique protectionniste par les lois sur les tarifs de 1892, substitution aux avantages comparés des avantages territoriaux issus de l’Empire français, la construction de relations diplomatiques avec la Russie tsariste (prêts en échange d’accès au marché russe), plus tard une diplomatie arabe « pétrole contre sécurité » avec la Libye et l’Irak, politique agricole commune dans le cadre de l’Europe des Six.
Décolonisation des années 60, crises pétrolières de 1974 et 1979, dissolution des deux blocs en 1991, élargissement de l’Union européenne : ces événements conjugués ont amorcé la « deuxième mondialisation » et ont parallèlement mis fin aux régulations dans des espaces économiques protégés issus de la diplomatie, des stratégies économiques françaises de la fin du XIXème siècle et du XXème siècle.
L’ère de l’économie ouverte pour tous a conduit à une redistribution des cartes sur la table du jeu économique. La France y a perdu sur tous les plans.
Sur le plan économique, son commerce extérieur est structurellement déficitaire depuis 2003, le poids de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière dans le PIB français a chuté de 17,6% en 1990 à 10,2% en 2016, l’emploi industriel est passé de 4 millions d’emplois en 2000 à 2,8 millions en 2017. Au niveau mondial, la part de la France dans le total des exportations est passé de 5% en 2000 à 3,1% en 2017. La France est « vendue à la découpe » comme le dit Laurent IZARD et seules 22 grandes entreprises françaises entrent dans le classement des 500 premières entreprises mondiales cotées en bourse. Tous les espaces où la France bénéficiait d’avantages territoriaux se détournent d’elle : l’Afrique est investie par la Chine (la « Chinafrique »), par l’Allemagne et la France y perd des parts de marché considérables. La France s’est jusqu’à peu détournée de la Russie aux termes d’une campagne atlantiste grotesque, totalement contraire à ses intérêts. L’Irak et la Libye ont fait l’objet de campagnes militaires aventureuses et la France s’est détournée naïvement de ses partenaires historiques pour l’Arabie Saoudite et le Qatar alors que sa position diplomatique n’y était pas ancrée.
Outre ce tableau économique inquiétant, le tableau social est aussi peu réjouissant. La libre circulation des biens et des capitaux s’est accompagnée d’une libre circulation des personnes actée par le sinistre Pacte de Marrakech de décembre 2018 sur les « migrations sûres, ordonnées et régulières ». Cette mondialisation ethnique contribue à défaire les attaches nationales et l’ancrage terrien de populations entières. Ces tensions ont été importées dans la société française. La fracture entre métropoles mondialisées, regroupant les élites et les populations allogènes, et la « France périphérique » est le fruit de cette entrée au forceps dans l’ « économie ouverte », appelée la mondialisation heureuse par le Cercle de la raison et Terra Nova. Le mouvement des Gilets Jaunes est une foncière contestation de cet impératif catégorique de l’ouverture à tout-va et une demande de protection économique, ethnique et culturelle.
Yves PEREZ termine son ouvrage par une question fondamentale qui pourrait en ouvrir un autre (peut-être le prochain ?) : « La France a-t-elle atteint les limites de son développement soutenable en économie ouverte ? ». Comment répondre à cette insécurité économique, sociale, culturelle, à ce besoin de protection qui transpire par tous les pores de la France d’aujourd’hui ?
Le temps de l’économie ouverte est compté, cela paraît évident. Arnaud Montebourg affirme en septembre 2019 : « Pour moi, la mondialisation est terminée ». Donald Trump puis Xi Jinping, un peu forcé, ont bien compris que les régulations par les tarifs douaniers sont nécessaires pour protéger leur économie et ont amorcé un protectionnisme séquencé dans des domaines bien spécifiques. Seule l’Union européenne semble être rétive à ce deuil de l’économie ouverte comme en témoignent l’adoption du CETA le 21 septembre 2017 et la signature de l’accord de libre-échange Mercosur/UE le 28 juin 2019. Pourtant dans le jeu à somme nulle de l’économie mondialisée, si un seul des acteurs fait défaut, celui qui respecte les règles est systématiquement perdant… Dans l’Union européenne, le système est bloquée par un acteur majeur, l’Allemagne, dont l’économie structurellement exportatrice a tout à gagner à une économie ouverte. Bercé par le mythe – franco-français d’ailleurs – du couple franco-allemand, les gouvernements qui se sont succédés en France ont refusé de renverser la table et à reposer à plat cette relation d’interdépendance, économiquement toxique.
L’Union européenne n’est plus l’espace économique protégé dont la France aurait besoin. L’absence de frontières extérieures est tout à fait incompréhensible et trahit le positionnement initial finalement assez protectionniste de l’Europe des Six comme en témoignent les concepts de « préférence communautaire » et de « tarif extérieur commun ». La France doit trouver un espace protégé nouveau et devrait préalablement se libérer des chaînes économiques, juridiques et politiques de l’Union européenne à 28 qui étouffent la souveraineté stratégique et politique des États.
La question monétaire est de ce point de vue fondamentale. L’Euro a joué certes son rôle protecteur de bouclier notamment en 2007-2008 où des spéculations sur les monnaies auraient pu déstabiliser durablement les économies européennes déjà fragilisées. Mais l’unicité de la monnaie dans un espace économique pourtant hétérogène (Allemagne exportatrice et France en déficit commercial structurel par exemple) crée des rigidités et empêche les ajustements de compétitivité par des déflations. La solution proposée par Yves PEREZ d’ euro-devises et d’un Euro, monnaie d’échange internationale sur le modèle de l’ECU, permettrait des variations entre un euro-deutschmark et un euro-franc, efficaces si elles sont encadrées.
Peut-être devrait-on plutôt libérer l’Europe de son dogme libéral par un électro-choc diplomatique en proposant un vaste espace de coopération eurasiatique intégrant le groupe de Visegrad (déjà présent dans les instances européennes mais plus vraiment dans le projet…) et la Russie. La France serait en initiative et ce projet aurait l’avantage de respecter la cohérence identitaire de la civilisation européenne. Pour cela, il convient de réévaluer les conditions de notre appartenance au commandement intégré de l’OTAN.
La France doit repenser en outre ses relations avec l’Afrique et l’espace méditerranéen. Cela peut passer par des accords bilatéraux attribuant des tarifs économiques préférentiels contre un pacte de remigration ciblé sur des pays dont les populations entrent massivement dans le territoire national. Ce protectionnisme contre l’entrée d’un capital humain improductif et anxiogène – voire destructeur – pour les populations européennes indigènes répondrait à la réalité du grand remplacement qui déstructure actuellement les assises culturelles, ethniques de l’Occident.
Le protectionnisme doit être pensé non comme une simple politique économique mais comme une stratégie politique globale, civilisationnelle, démographique, culturelle, et bien sûr économique pour rendre à l’Europe son unité et éviter l’éclatement tragique dans un communautarisme destructeur.