
Pour la déclaration de sa candidature à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron nous a gratifiés d’un texte de piètre facture. Convenu, assez plat, mais surtout froid, minéral, accumulant les formules ou les slogans qui semblent sortis de la rhétorique d’un consultant. C’est normal. Ce texte s’adresse à plusieurs personnes, à plusieurs « cibles-client » et je dirais même que c’est une lettre à tous, sauf aux Français qui souffrent du Nouveau Monde enfanté par le Président de la République, c’est-à-dire, me semble-t-il, à tous sauf à la majorité des Français.
C’est une lettre adressée à ses partisans, aux admirateurs du Nouveau Parti de l’Ordre qu’il a constitué depuis l’affaire du Covid-19. C’est une lettre de remobilisation adressée à l’extrême-centre, qui va des sympathisants LFI à ceux de LR.
Il s’adresse à eux dans un style épique. « Nous avons traversé ensemble nombre d’épreuves ». Il liste les obstacles « terrorisme, pandémie, retour de la violence, guerre en Europe » et s’affiche comme le grand ordonnateur du Chaos, le Grand Timonier de la stabilisation, le Grand Architecte d’un ordre social restauré. « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées / La valeur n’attend point le nombre des années ». Ainsi, dans un renversement extraordinaire et habile – il faut le reconnaître -, le candidat de la disruption en 2017 devient le Président de l’Ordre préservé. Macron a vaincu la pandémie par l’arme du Passe sanitaire, du QR-Code, des confinements. Il a pris des décisions difficiles, avec courage, et a transcendé la facilité de vouloir se faire aimer de tous pour le service des Français. Il est le héros, celui qui renonce au confort de l’approbation publique pour braver l’ennemi et se sacrifie pour le bien de tous. Il place même les « devoirs » avant les « droits », préparant, par ce biais, le consentement du contrôle social à la chinoise. A ce propos, Dieu sait si j’ai souhaité, jadis, la primauté des devoirs sur les droits, pensant que cela viendrait contrecarrer l’idéologie remplaciste. Je constate, à mon grand désarroi, que ce culte du « devoir » vient au contraire la servir.
Le héros est d’autant plus héros qu’il sait échouer et tirer des leçons de ses échecs : « Nous n’avons pas tout réussi. Il est des choix qu’avec l’expérience acquise auprès de vous je ferais sans doute différemment. » Mais il a réussi quand même, ne nous y trompons pas : le chômage est au plus bas, au prix d’un trucage statistique grossier dont Laurent IZARD dans A la sueur de ton front montre toute l’imposture. Il a même investi dans les hôpitaux (sic !), renforcé la fonction publique régalienne (police, gendarmerie, éducation) comme le montrent les succès en termes éducatifs et sécuritaires. C’est le narratif intégral, l’imposture sublime.
En effet, comme toute parole dans le davoscène tardif, les signes sont inversés. Emmanuel Macron a « libéré » son peuple en l’humiliant, en le prenant, par l’irrationalité de ses mesures technocratiques, quotidiennement, pour un peuple abruti, dévasté par le goût de la soumission. Il lui a désappris l’amour de la liberté (Mathieu Slama dans son excellent livre, Adieu la liberté). Le « terrorisme », « le retour de la violence » sont le fruit du Grand remplacement que Macron a observé dans son pays au mieux comme un spectateur impuissant au pire comme un facilitateur cynique. Les égorgements rituels, la violence quotidienne à l’encontre de la police, l’impunité judiciaire, la dislocation calamiteuse de la chaîne pénale, tout cela, a contribué à entretenir un climat de peur. Lui fut épique, mais le peuple dont il doit porter le destin fut réduit au rang d’esclave.
L’extrême-centre se satisfait de cette Macronade, comme on parlait jadis de la Henriade. Il met de l’ordre : dans les cités islamisées, l’ordre de la charia et du grand banditisme mais tout cela est loin. Les quartiers ont dérivé hors de France et ce n’est donc plus notre problème. Dans les centres-villes, les travaux permanents, l’horreur continue du remplacisme progressiste, le labyrinthe inclusif, les voies ouvertes pour les bus, les vélos et les bouchons pour les automobilistes. C’est l’Ordre nouveau. C’est le Chaos d’avenir, fourmillant d’espérance pour les optimistes qui se disent, avec leurs pieds de plomb, que la France est le mouvement perpétuel, l’instabilité matricielle. L’extrême-centre, c’est Candide devant Pangloss : « Tout est au mieux ».
Mais sa Lettre est surtout une Lettre à Davos.
Emmanuel Macron envoie les signaux adéquats : « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance ». Il s’agit de faire de l’inhéritage un projet politique. Tel est l’enjeu. Débarrasser la France d’elle-même, en faire un Hexagone minéral, un terrain neutre, un territoire soluble dans un autre, plus important, sérieux, lui, « l’Europe-puissance », le mythe du davoscène tardif. Voilà une idée qui doit confondre d’aise Klaus Schwab appelant de ses vœux la « régionalisation » du monde. L’État-Nation engendre du « nationalisme toxique ». Il faut nettoyer. Macron est là pour cela. La France, ses Rois, son Empire, sa IIIème République même, c’est « le repli », la « nostalgie ». La France n’a pas d’histoire, elle n’a qu’une pathologie, une « -algie » commune dont elle doit se guérir. Il faut faire table rase, mes chers compatriotes : il y a les « Français », ceux en attente de leur propre dissolution et les « suspects » comme en 1793, les résistants à la tyrannie sanitaire et au « génocide par substitution » comme le dit si justement Renaud Camus. Ceux-là doivent faire place nette.
Les crises contemporaines attendent une « réponse française et européenne singulière ». La France est une « réponse » et a décidément un destin d’adjectif comme dans République française. L’objectif ultime est de faire des « citoyens. Faire des républicains ». Cette grande lessive va permettre de nettoyer la France de son insupportable francité. Si « la grande aventure collective (…) s’appelle la France », la France n’est qu’un nom. Ce n’est pas une chose. Hermogène est satisfait. Et l’Union européenne l’est encore davantage. Elle va pouvoir substituer à notre patrimoine législatif, culturel, civilisationnel son arsenal technocratique, nous soumettant toujours plus au Nouvel Ordre Mondial qui broie les identités, les appartenances et qui orchestre la « dépossession » si précieuse pour l ’instauration d’un ordre davocratique. Voter Macron, c’est se libérer de la France. C’est se libérer de la responsabilité historique. C’est s’alléger du poids de l’histoire. C’est oublier un héritage lourd d’héroïsme véritable. Je le reconnais, c’est un certain confort. Plus d’indignité. Plus d’affaissement. Plus de décadence. Nous sommes nus, sans passé. Les héros d’antan sont effacés de notre mémoire. Que c’est bien Macron, Machéron ! C’est la décadence sans la conscience de la décadence. C’est la traversée en douceur mais en douleur du Léthé…