philosophie

La déconstruction de la nature

Dans l’Anti-nature, Clément Rosset affirme que la nature est un fantasme idéologique qu’il convient de dépasser.

Ce rapport conflictuel avec la nature est symbolisé par le mythe de Prométhée qui a créé les hommes à partir de boue et qui a volé le « feu sacré » des dieux. Dans La Bible, Adam croque le fruit de la connaissance pour égaler Dieu en savoir. Ce rapport conflictuel entre l’homme et la nature trouve son expression philosophique dans le cartésianime. Descartes affirme dans Le Discours de la Méthode (partie VI) :

« […]au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connoissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connoissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »

L’homme voulant se rendre maître et possesseur de la nature entre dans un rapport de force avec la nature. L’homme n’est plus un élément parmi d’autre de la nature mais le rationalisme crée une séparation entre l’homme doué de raison et le reste de la nature qui n’en a pas. Ce logocentrisme conduit à un hiatus entre l’homme et la nature, la nature devenant un moyen pour la fin qu’est l’homme. Ce rapport de subordination a rendu possible le passage d’une civilisation agricole à une civilisation industrielle. La première révolution industrielle du XVIIIème siècle marquant l’émergence des industries charbonnière et de l’industrie textile ramène la nature au rang d’outil ou d’instrument que l’homme va utiliser pour se prolonger ou affirmer sa puissance. Les réflexions de Bergson sur la machine dans les Deux Sources de la morale et de la religion établissent un lien entre mécanique et mystique. La machine vient prolonger l’homme et constitue un dépassement de sa finitude et à ses limites. Dans cette perspective, la machine transcende les limites naturelles et elle vient parachever l’œuvre de la Création en parfaisant l’œuvre initiale du créateur.

Cette approche, somme toute chrétienne, dans l’optique d’un Pierre Teilhard de Chardin au XXème siècle par exemple, a été très récemment complétée par l’approche transhumaniste et transgéniste qui oppose nature et liberté. La nature est par définition déterminante. Elle incarne l’essence de l’homme dans une existence à l’aide d’une matière et d’une forme. C’est cette détermination naturelle qui se manifeste dans les accidents de la nature (sexe, caractère) que ne supporte pas le transhumanisme. Le transhumanisme a une ambition métaphysique. A l’aide des conquêtes technologiques, de l’hyperconnection de l’homme grâce à la technologie numérique, il veut abolir la nature et ses accidents pour ne faire de l’homme qu’une entité culturelle, acquise, construite. Cet homme, à la fois créature et créateur, réunit entre lui-même les caractéristiques de Dieu et de la créature. C’est une conquête métaphysique où l’homme dépasse son statut de créature pour accéder à celui de créateur. Ce chaos métaphysique qui défait l’ordre naturel des êtres dans la création relève du mythe de Prométhée.

Cette nouvelle humanité prométhéenne du XXème est habitée par un fantasme d’angélisme post-moderne.

Certes, la philosophie transgenre semble dans une démarche classique de conquête des droits humains. Il s’agit en effet de choisir librement son orientation sexuelle et son sexe lui-même. Il s’agit de renier l’existence même d’un héritage biologique et naturel pour faire de chaque individu une créature auto-créée par lui-même. Cette conception post-moderne de l’homme  a pour ambition de faire de chaque homme l’ingénieur de lui-même. La promotion métaphysique de l’ingénierie humaine est profondément ancrée dans la société du XXIème siècle. Tout est projet ; tout est ingénierie. Cet état de fait est l’aboutissement du cartésianisme qui à bien des égards utilise l’ingenium humain pour façonner la nature, même sa nature, à son image.

Outre cette conquête narcissique des droits, il existe dans la philosophie transgenre l’idée de créer une humanité angélique, sans sexe. Le XXIème siècle a engendré des figures illustrant ce phénomène comme les métrosexuels ou les mannequins féminins masculinisés faisant du non choix du sexe une sorte de preuve par quatre de la vérité de l’existentialisme sartrien : l’existence précède l’essence. Si l’on suit ce fantasme sartrien sinistre, on commence par être un ange pour finir particularisé dans le sexe de notre choix. Ce post-humanisme barbare est un croisement mortifère entre un prométhéisme oublieux de la nature et du créateur, un droit-de-l’hommisme tyrannique obligeant chaque individu à choisir sa vie et son destin.

Le refus de la nature est un des piliers marquant du post-modernisme qui entérine l’hiatus entre l’homme et la nature et renforce sa solitude.

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