Mai 68 nous a légué un anarchisme institutionnalisé. En hiatus avec le monde, ayant pris la place de son créateur, l’idéologie du « Ni Dieu ni maître » peut advenir. Max Stirner en a été un passeur important qui a influencé directement ou indirectement la pensée contemporaine.
L’anarchisme post-moderne part de postulats métaphysiques évidents :
Tout d’abord, « Dieu est mort » comme nous l’a appris F. Nietszche dans Le Gai Savoir :
« Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu’à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau. — Qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d’inventer ? La grandeur de cet acte n’est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d’eux ? » (F. Nietzsche, Le Gai Savoir, 125)
Nietzsche a été très influencé par Max Stirner et il est évident que ce que l’ « insensé » de l’aphorisme déplore, le monde post-moderne y a pleinement trouvé son compte. La disparition de Dieu s’est manifestée en métaphysique par la montée en puissance de la phénoménologie fin XIXème et début XXème, ainsi que par l’audience accrue de la philosophie analytique à partir de la seconde moitié du XXème siècle. Dès lors, la question de Dieu est évacuée du champ métaphysique pour être réservé dans deux champs, la théologie et de la psychologie : tout d’abord, la théologie, science théoriquement subalternante dans la Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin mais science aujourd’hui reléguée comme science dont l’ésotérisme lexical et culturel est réservé à des initiés. Ensuite, la psychologie dans la mesure où la question de Dieu ne trouve sa réponse que dans la foi que le cartésianisme on a pris soin de séparer de la raison. La foi est un phénomène intérieur ne faisant plus référence à une res extra animam existans. Dieu est donc un miroir de la psyché. Plus personne au sommet de la pyramide métaphysique, autant dire plus de métaphysique et le tour est joué. L’homme seul. Ni Dieu ni maître. Cette vaste entreprise de destruction de deux mille ans de culture s’est d’abord attaquée à la clé de voûte du système.
A partir de là, les dominos tombent les uns après les autres. Dieu est mort. La psychanalyse théorise le meurtre du père et relègue la figure paternelle à une figure liberticide au début du XXème siècle. Le maître doit être tué aussi pour les mêmes raisons. L’école reprendra à son compte dans le sillage de Max Stirner d’ailleurs (« Le faux principe de notre éducation », 1842) cette entreprise de démolition du maître. Les ESPE et leurs glorieux ancêtres, les IUFM, ont orchestré cette destruction de la figure magistrale pour promouvoir une sorte de happening éducatif permanent mâtiné d’une parodie de maïeutique socratique. Le résultat de cet anarchisme est connu et les élèves ont bien retenu la leçon. Le maître n’est plus respecté. Sa parole n’est plus sacralisée ; elle est l’objet d’une négociation permanente et ne s’affirme plus comme indiscutable d’où la crise actuelle des vocations puisque le professeur ne professe plus. Le maître est un proposant, un chef de projet éducatif – toujours l’ingénierie – destiné à faire acquérir des compétences c’est-à-dire à donner aux élèves une méthode critique d’autonomie. Il n’enseigne plus de lois (recul du par cœur, absence de nature, horizontalisation des rapports maître-élève) mais donne aux élèves le moyen de créer leur propre loi. On est ensuite étonnés de la déliaison sociale que cela engendre !