La société fortement médiatisée, ordonnée au culte de l’instant et de l’éphémère, a favorisé la promotion d’une nouvelle aristocratie. Cette aristocratie s’est érigée sur les fondements classiques sur société décadente à savoir le sport et les jeux. Panem et circenses comme l’écrivait Juvénal pour fustiger la Rome décadente.
Une nouvelle aristocratie : le virtuel et le spectacle
Aujourd’hui en effet, a émergé une élite sportive, médiatique et issue du show-business qui promeut le virtuel et le spectacle, deux piliers de la société contemporaine, dématérialisée et dévouée au loisir. L’élite sportive est constituée de sportifs certes talentueux mais dont les rémunérations sont totalement déconnectées du bon sens et de la juste mesure. Les sports concernées par cette hybris financière sont des sports efficacement télévisuels (football, basket-ball, formule 1, tennis, base-ball aux E.-U ., dans une moindre mesure golf) et soutenus par des sponsors qui font des sportifs et de leur nom de véritables marques. Les rémunérations du monde du spectacle sont tout aussi choquantes et démesurées du moins pour certains acteurs ou chanteurs ainsi que pour quelques figures médiatiques dont les rémunérations sont parfois inversement proportionnelles à l’intérêt de leurs interventions télévisuelles. Ces rémunérations souvent outrageantes sont curieusement bien protégées et acceptées par une grande partie de la société qui demeure hostile aux rémunérations importantes des grands patrons mais reste assez insensibleau scandale véritable que représente la rémunération du spectacle de divertissement sans utilité sociale particulière. SI l’on va plus loin, ces métiers très bien rémunérés correspondent en effet à des caractéristiques fortes des sociétés capitalistes contemporaines. Le sport est un catalyseur de la tendance naturelle des sociétés à l’épopée et à la guerre. Un grand footballeur, un pilote de formule 1 est un héros moderne, entre le gladiateur et le soldat qui va incarner la fierté nationale et va en cristalliser l’expression pourtant généralement refoulée dans la société. Le sport est le seul canal d’acceptation de l’amour national. C’est la raison pour laquelle les classes populaires sont aimantées par le football et acceptent les rémunérations scandaleuses des héros modernes : d’après le Figaro, Carlos Tevez gagne au Shanghai Shenhua 3 166 666 brut par mois soit 2150 fois le SMIC à 1480 € bruts. Plus près de nous, Thiago Silva gagne au Paris Saint-Germain 1 110 000 € bruts par mois soit 750 fois le SMIC que gagne un employé qu’il croise tous les jours au coin de la rue. Ils incarnent la grandeur, l’esprit de conquête, le sens du défi qui a déserté de nos vies de divertissement. En spectacularisant l’épopée, ils permettentau spectacle et au divertissement de se perpétuer dans un doux commerce stable favorable au système mondialiste libéral. Les acteurs eux correspondent à un autre besoin contemporain : celui de la « vie par procuration ». Ils subliment les vies médiocres de la plupart des classes moyennes ou populaires, ils mettent l’espace d’un instant de la poésie dans un monde dépoétisé et entrepreneurial. Là encore, par leur effet cathartique ou compensatoire, ils favorisent l’acceptabilité d’un système qui se sert d’eux en les rémunérant très correctement.
Si ces échelles de rémunérations sont explicables en ce qu’elle permettent une perpétuation du système, cette distribution des richesse paraît aléatoire et signe la fin d’un modèle méritocratique au sens républicain du terme.
De modèle méritocratique au modèle médiacratique
La méritocratie est un des mythes fondateurs de l’Etat-nation et de l’école érigée par la IIIème République. Il s’agissait que faire en sorte que l’école soit un instrument de mobilité sociale se substituant à l’anthropologie fixiste héritée du XVIIème siècle et de l’ordre monarchico-féodal. A la grandeur du rang, l’école de la IIIème république a cherché à instaurer un ordre de la « vertu ». L’appartenance sociale n’est plus due à la naissance, à la nature dans une logique de déterminisme social mais relève de l’effort personnel, du mérite, de l’acquis. On passe d’une anthropologie fixiste à une anthropologie du mouvement. Cette conception anthropologique a profondément perturbé le socle millénaire sur lequel était assis l’ordre social mais à introduit une mutabilité génératrice d’espoir pour les personnes de naissance modeste. Ce modèle méritocratique a été institutionnalisé à travers la naissance des lycées sous Napoléon Ier et surtout à travers le principe de gratuité de l’enseignement public à partir de 1881 érigé en principe constitutionnel par le Préambule de la Constitution de 1946. Cette école a été un instrument d’assimilation qui a remarquablement fonctionné pour tout d’abord urbaniser la population essentiellement rurale du début du XXème siècle en généralisant l’apprentissage du français dans les campagnes française et le zones de montagne. Elle a su ensuite assimiler les populations issues de l’immigration européenne (Espagne, Italie, Pologne, Portugal) à partir des années 20 et de l’immigration africaine et nord-africaine à partir des années 60 jusque dans les années 70. Cette puissance machine d’assimilation s’est enrayée. A une politique du mérite, considérée comme libérale et discriminatoire, s’est substituée une politique de la « bienveillance » et de l’accompagnement personnalisé qui est accentué et fait de nombreux ravages politiques aujourd’hui. La méritocratie a dès lors été considérée comme un instrument de discrimination négative et le choix d’un médiocrisation du niveau a été opéré car il permettait de passer d’une égalité de droits – potentielle et non actuée – à une égalité de fait – actuée par le fameux « nivellement par le bas ». Cette prétendue politique égalitariste de l’école contemporaine a profondément affaibli le régime méritocratique dont la crise est patente aujourd’hui. Le régime méritocratique est en effet pourvoyeur d’inégalités fondées mais sur la responsabilité personnelle : c’est là que réside sa justice, une justice distributive fondée sur le cuique suum d’Aristote – à chacun ce qui lui revient. Le système d’aujourd’hui est fondé sur une justice commutative, arithmétique qui promet naturellement la « réussite pour tous » (sic !) pour paraphraser la plupart des projets scolaires académiques.
Cette crise de la méritocratie a considérablement affecté la cohésion sociale et a participé d’une perte des valeurs et des repères dont les jeunes d’aujourd’hui sont malheureusement à la fois les acteurs et les victimes. L’école, censée être le pilier de la Nation, est le vecteur de cette décadence culturelle.