Europe

L’externalisation de la souveraineté nationale

Le début du XXIème siècle est un moment de recul démocratique dans la mesure où plusieurs espaces de souveraineté ont été considérablement transformées. Les Etats se sont affaiblis en particulier sous la pression de l’Union européenne qui s’est imposée comme sommet de la hiérarchie des normes juridiques.

Cette usurpation s’est construite pas à pas et il me semble important d’en informer tous les Français. Dans la mesure où nous n’avons pas de constitution mondiale qui permettrait de régir l’équilibre des pouvoirs entre un Etat et l’Union européenne, seule la jurisprudence et des juridictions d’Etats (Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat) et de la Cour de Justice de l’Union Européenne peuvent le faire. A l’origine, la hiérarchie des normes en droit interne est d’une extrême clarté. Le bloc de constitutionnalité (Constitution du 4 octobre 1958, préambule de la Constitution de 1946, Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789), les lois organiques, les lois de programme, les lois, les décrets, les arrêtés et les circulaires organisent le fonctionnement des pouvoirs publics et définissent l’exercice pyramidal d’une souveraineté clairement établie. Le Traité de Rome du 25 mars 1957 met en place l’union européenne définit la coopération économique de six Etats qui tentent d’élaborer des politiques communes en matière économique notamment agricole. L’objectif d’un grand marché commun passe par l’abolition des tarifs douaniers le 1er juillet 1968 qui permet de réaliser l’Union douanière, premier coup porté à l’indépendance nationale. Cette décision à l’échelon européen a été préparée et soutenue par le Conseil d’Etat à travers l’arrêt Syndicat général des fabricants de semoules de France le 1er mars 1968 : les dispositions d’une loi postérieure au traité l’emporte sur les dispositions de ce dernier. Plus que ce qu’il dit, cet arrêt est intéressant pour ce qu’il ne dit pas. En effet, il suggère que les lois antérieures au traité sont invalidées le cas échéant par des dispositions contraires de celui-ci. Les traité et la loi entrent désormais en concurrence et l’arrêt du Conseil d’Etat est transparent sur ce point : le traité est désormais un échelon normatif nouveau pour chaque Etat de la CEE, placé quelque part au-dessous de la Constitution et au-dessus des lois de droit commun. Une position d’équilibriste naturellement intenable en droit qui allait rapidement évoluer. Il faut dire que les institutions européennes ont singulièrement contribué à faire basculer cet équilibre fragile en faveur d’une doctrine supranationaliste et mondialiste. La Cour de Justice de la Communauté Européenne, le 9 mars 1978, prononce l’arrêt Simmenthal  et pose le principe de la primauté des normes européennes, originelles (les traités) ou dérivées (les directives !) sur toutes les normes de droit interne y compris les constitutions nationales. Il faut bien être conscient ici que cet arrêt a été fondamental dans la déstructuration de la souveraineté nationale. N’importe quelle norme européenne de niveau législatif c’est-à-dire infra-constitutionnelle est supérieure à toute norme nationale même constitutionnelle ! Un pas inacceptable a été franchi ce jour-là et le président de la République de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, garant de la constitution et de l’indépendance nationale, aurait dû avec l’ensemble de ces homologues répondre sévèrement à ce véritable coup d’Etat législatif. L’absence de réaction a signé l’affaiblissement progressif des Etats plus préoccupés à l’époque de démocratiser l’hédonisme libéral que de sauvegarder l’indépendance nationale. Après la signature de l’Acte Unique de 1986, qui a donné le premier support juridique à la mondialisation libérale du XXIème siècle, le Conseil d’Etat prononce le 20 octobre 1989 l’arrêt Nicolo qui affirme la suprématie du traité sur la loi même postérieure. Cette question d’antériorité est tout à fait fondamentale car elle change le paradigme des normes juridiques. En 1989, on passe de la primauté du temps (une loi postérieure est supérieure au traité et une loi antérieure lui est inférieure – ce qui était déjà bien problématique !) à la primauté de l’espace (le traité européen est supérieur à la loi nationale même ultérieure). La Communauté européenne est l’espace premier d’une souveraineté désormais partagée au prix d’une mécompréhension flagrante du concept de souveraineté. Les arrêts du Conseil d’Etat du 24 septembre 1990 (Boisdet) et du 28 février 1992 (Rothmanns International France et S.A. Philipp Morris France) ont étendu la jurisprudence Nicolo au droit communautaire dérivé pour affirmer la supériorité sur les lois nationales des règlements communautaires puis des directives. De ce fait, le Conseil d’Etat jamais en reste pour servir le progressisme sociétal ou le mondialisme accompagnait allègrement la création de l’Union européenne issue du traité de Maastricht du 7 février 1992. Et surtout, il soumettait le droit français à une position de subordination par rapport au droit communautaire.

Comment ces renoncements politiques ont-ils été possibles ? Après les mouvements 68 qui ont sévi peu ou prou dans toute l’Europe, l’effondrement du bloc communiste en 1989 a marqué l’avènement d’une société post-militaire et hédoniste, libérale et libertaire dont l’Union européenne semble avoir été la traduction institutionnelle et politique. De ce point de vue, le débat sur la Constitution de 2005 consécutive au conseil de Thessalonique a été tout à fait éclairant. Le refus de mentionner les racines chrétiennes, l’héritage grec et romain dans la constitution prouve que l’Union européenne était destinée à effacer justement ce passé et qu’elle contribuait à créer une nouvelle religion du progrès s’émancipant des racines culturelles qui auraient pu cimenter le projet politique s’il avait justement été clairement exprimé et assumé. La construction artificielle de ce mastodonte juridique, Léviathan désincarné et déraciné, a créé l’illusion d’une civilisation nouvelle dépouillée de la guerre, de la violence, du conflit, abandonnant même l’idée de frontière jusqu’à être incapable elle-même de fixer une limite géographique et politique à l’Union européenne. Déterritorialisée, l’Europe de la constitution de 2005 se voulait une Europe des valeurs à laquelle la Turquie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique-du-sud, les Samoa-occidentales auraient pu adhérer. Telle qu’elle a été définie depuis 1957 jusqu’en 2005, elle portait en elle les racines de sa propre destruction. Vouant un culte à la diversité elle rendait toute union impossible. Parallèlement, obligée d’être unie elle porte en elle la négation des particularismes cultuels inhérents à la nation. Elle est une aporie politique dont la France serait bien inspirée de sortir, en préparant naturellement monétairement, économiquement, politiquement cette sortie. Assenée comme une évidence institutionnelle par les médias depuis 1992, l’Union européenne est devenue un dogme et a pris le statut de vérité révélée après la deuxième guerre mondiale et la Shoah. La civilisation occidentale après la Shoah a été prise d’une mystique de la paix et de la concorde universelle. L’union Européenne en a été le viatique. Si comme le disait François Mitterrand, « le nationalisme c’est la guerre », l’Union européenne a été l’antidote utilisée pour abolir les nations. Les dirigeants européens ont considéré, dans une approche hégélienne et marxiste de l’histoire, que l’Etat-nation faisait partie d’un âge politique bien circonscrit et que la conflagration de la deuxième guerre mondiale  avait fait basculer le monde dans un âge post-national. Ce qui n’était qu’une intuition après-guerre est devenu une certitude après la chute du mur de Berlin. Les nations, les blocs, les frontières discriminent, divisent et l’Union européenne est destinée à donner un cadre institutionnel à un nouveau type d’espace politique : un espace sans frontière, c’est- à-dire un espace sans espace. La virtualisation évoquée plus haut a aussi touché le domaine politique on le voit bien. L’Union européenne est la manifestation délétère de cet espace désincarné et postnational fondé sur une zone économique optimale permettant l’éclosion d’une civilisation consumériste nouvelle. Cet idéal libéral et libertaire passe par la disparition de l’identité nationale d’où ce travail de sape juridique qui a été entrepris au cœur des nations elles-mêmes !

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