La décision concernant aujourd’hui Vincent Lambert est placée sous le signe d’une triple aberration.
Une aberration juridique, tout d’abord.
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de la vie dite loi Leonetti ainsi que la loi Clays-Leonetti du 2 février 2016 empêche l’acharnement thérapeutique qualifié d’ « obstination déraisonnable » . Elle précise, suite à la jurisprudence du Conseil d’Etat du 24 juin 2014 concernant le cas de Vincent Lambert, que « la nutrition et l’hydratation artificielle constituent des traitements qui peuvent être arrêtés » afin d’éviter une obstination déraisonnable. La suspension du traitement doit être dans ce cas conforme à la volonté du patient ou si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire.
Or, peut-on qualifier l’état de Vincent Lambert de « fin de vie » et de fait la thérapie d’obstination déraisonnable ? Vincent Lambert est dans un état pauci-relationnel mais en aucun cas son pronostic vital n’est engagé. Il est sorti d’un état de coma végétatif pour atteindre un état de conscience minimal lui permettant une perception de la douleur et des émotions préservées comme le mentionne l’expertise médicale au COMA science Group de Liège en 2011. Vincent Lambert ne peut déglutir et doit être nourri et hydraté artificiellement. Les séances d’orthophonie n’ont pas abouti et, en dépit de lésions cérébrales irréversibles, Vincent Lambert régit à certaines stimulations. Le 22 novembre 2018, les experts mandatés par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne confirment certes un « état végétatif chronique irréversible » donc une dégradation physiologique mais refusent de qualifier la nutrition et l’hydratation d’ « obstination déraisonnable ». Ils indiquent expressément que d’autres structures que le CHU de Reims peuvent accueillir Vincent Lambert et ainsi estiment que la prise ne charge du patient est possible dans des structures plus adaptées à sa pathologie.
En l’absence de « ‘fin de vie », en l’absence d’ « obstination déraisonnable », comment peut-on juridiquement soutenir décision qui va être mise en oeuvre dans la semaine du 20 mai 2019 ?
Une aberration médiale ensuite.
Vincent Lambert n’est pas en fin de vie et la décision de mettre fin à sa nutrition et son hydratation ne fait pas consensus dans le corps médical et dans sa famille. Les ressorts psychologiques, notamment au sein d’une famille ou même du corps médical sont toujours complexes devant la mort, et personne ne peut raisonnablement juger de la réaction de tel ou tel. Il n’en reste pas moins que cette décision pose un problème médical certain. En vertu de quoi est-il décidé que Vincent Lambert doit mourir ? Un « état végétatif » sans fin de vie est-il suffisant pour faire l’objet d’une décision collégiale de fin de vie. Il n’y a pas d’urgence, pas même de mort certaine à court terme, pas de souffrance intolérable. Devant cette absence objective de détresse corporelle, il paraît disproportionné d’appliquer à un patient en état végétatif le traitement d’un patient en soins palliatifs.
Une aberration philosophique et civilisationnelle surtout.
Au delà des slogans, on ne peut qu’être interpellés par une dissymétrie criante. Le gouvernement de la République a aboli la peine de mort le 18 septembre 1981, s’en est enorgueilli actant ainsi la fin de l’arbitraire et posant le droit à la vie comme droit essentiel. Ce qui vaut pour le criminel ne vaut manifestement pas pour l’innocent et le faible et c’est là que le bât blesse. Sa vie du faible et de l’impotent est entre les mains d’une volonté humaine qui s’arroge indûment droit de vie et de mort sur lui. Notre société individualiste, post-moderne fonde toute décision sur la volonté subjective et non sur les faits objectifs. Ce qui est voulu est bon parce que c’est voulu. Cette tautologie de la volonté autoréférentielle se prête à tous les caprices, à tous les changements, à l’aléatoire.
Si Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, quelle est le critère de cette peine de mort déguisée ? L’inutilité sociale ? Le coût engendré par des soins qui ne mèneront pas à un rétablissement de la santé ? Faut-il, dans la société gestionnaire qui est la nôtre, affecter un coefficient d’utilité à chacun d’entre nous pour décider, l’affaiblissement du corps et de la conscience aidant, de notre mort ? Cette barbarie saute aux yeux de chacun d’entre nous pour peu que nous y songions un instant. Surtout, si ce sinistre plan d’arrêt des soins arrivait à exécution, la mort serait potentiellement partout pour chacun d’entre nous. Tant que nous sommes lucides, forts, nous pouvons résister à cette pulsion de mort nouvelle injectée dans le corps social, politique, juridique de notre société. Affaibli, nous serions le jouet de la volonté de n’importe qui.
Le Cardinal Sarah dans Le soir approche et déjà le jour baisse nous avertit : « Pourtant sous les oripeaux trompeurs d’idéologies progressistes, les civilisations post-modernes n’hésitent pas à donner la mort ». Plus loin, peut-être pensait-il même à Vincent Lambert en écrivant ceci : « Au fond je crois que si l’euthanasie est aujourd’hui en débat, c’est parce que nous les bien portants ne supportons pas la présence des malades et des souffrants. Ils sont des mendiants de notre amour et de notre compassion. Nous n’avons pas le courage d’affronter leur regard ».
Ne commettons pas l’irréparable.