Si la raison est la chose du monde la mieux partagée, ce n’est pas forcément le cas du courage. Du courage, il en a fallu à Grégor Puppinck pour montrer, dans un rapport extrêmement sourcé, les liens étroits entre de nombreux juges de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et les ONG du réseau de l’Open Society Foundations. Valeurs Actuelles dans son numéro du 20 au 26 février consacre sa rubrique « Grandes enquêtes » à ce qu’il convient d’appeler « Le scandale Soros ». L’enquête du juriste et auteur de l’excellent livre Les droits de l’homme dénaturé porte sur une période de 10 ans (2009-2019). Le rapport rappelle les conditions de saisine des 47 juges de la CEDH : une ONG peut attaquer elle-même un État, représenter un plaignant, ou recourir à la « tierce-intervention » sans donc être elle-même requérante. Il démontre, à la suite d’une étude scrupuleuse et sourcée des requêtes, la présence active de juges, souvent non magistrats de métier, issus des ONG de George Soros ou en lien avec elles. Gregor Puppinck assure que la présence de juges issus de cette ONG n’est pas choquante en soi et qu’une institution de cette nature est forcément animée par des jeux croisés d’influences diverses. Ce qui l’est davantage, c’est la présence et l’influence croissante de ces juges dans le choix des affaires à traiter, dans le choix des saisines idéologiquement orientées, dans le choix d’un timing juridique qui se confond avec le timing médiatique et politique. C’est surtout l’intuition confirmée par les faits que les affaires traitées ne relèvent pas d’un calendrier aléatoire mais d’une véritable stratégie idéologique ordonnée à un programme non juridique mais politique bien établi (les « strategics litigations »).
On pourrait objecter : la CEDH est lointaine, ne concerne que des affaires ponctuelles qui protègent de surcroît les fameux « droits de l’homme » chéris par le progressisme et l’armée en ordre de la bien-pensance sociétale. Il n’en est rien. L’interpénétration entre la Convention européenne des droits de l’homme et la juridiction nationale est bien réelle. Certes, l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 décembre 1997 (Ministre de l’économie et des finances c/ Sté Amibu inc) dispose que les arrêts de la CEDH n’ont qu’une autorité relative de chose jugée : la chose jugée ne concerne que les parties en présence, ce qui limite son extension. Néanmoins, le même Conseil d’Etat affirme le 7 janvier 2010 (Rantsev c./Chypre et Russie) l’effet erga omnes d’une jurisprudence de la CEDH invoquant « la force persuasive de la jurisprudence de la Cour », les arrêts de la Cour serv(ant) non seulement à statuer sur les affaires dont elle est saisie, mais plus généralement à clarifier (…) les normes de la Convention, contribuant ainsi au respect par les Etats des engagements pris par eux en qualité de Parties contractantes ». L’affaire des conditions de la garde à vue illustre l’influence juridique de la CEDH à travers les arrêts Saldüz c./ Turquie du 27 novembre 2008 et Danayan c./ Turquie le 13 octobre 2009 qui se fondent sur l’article 6 de la Convention (« droit à un procès équitable »). Ces arrêts confirment le droit d’assistance d’un avocat dès le début de la procédure et le droit au silence. Le Conseil constitutionnel français a, dans une décision du 30 juillet 2010, déclaré inconstitutionnel le régime commun de garde à vue, inconstitutionnalité que le législateur a réparée en votant la loi du 14 avril 2011, conformant ainsi la législation interne aux dispositions de l’article 6 de la Convention.
Cette porosité entre la Convention européenne des droits de l’homme et la législation interne permet de réévaluer le rôle de la CEDH dans notre droit interne et montre bien l’enjeu de l’affaire Soros. Placer des juges de l’Open society est une manière d’importer dans les 47 droits nationaux une idéologie politique, des principes anthropologiques bien déterminés. C’est ainsi que George Soros a pu, comme le rappelle opportunément Valeurs actuelles, s’autoproclamer « chef d’Etat sans Etat ». L’ « ennemi numéro un des dirigeants autoritaires » (sic!) aurait même pu mettre un pluriel au mot « Etat »…
L’enquête de Valeurs actuelles s’intéresse naturellement au contenu de cette idéologie importée à petits pas dans les Etats. George Soros a un objectif clair. Grégor Puppinck, lui-même, a analysé dans Les droits de l’homme dénaturé le passage des droits de l’homme ancrés dans la nature aux droits transnaturels. Au programme, l’amélioration de l’homme, créateur de lui-même, redéfinissant la nature selon ses caprices et sa volonté de puissance… Les droits de l’homme dénaturé ont trouvé leur dénaturateur en chef en la personne de George Soros.
Soros est en effet la figure emblématique de la société liquide décrite par Zygmunt Bauman. Son nom, un palindrome, est lui-même liquide, ironiquement lisible dans les deux sens. Pour le « plus grand philanthrope du monde », ce qui donne de la stabilité – la nature, les frontières, la sédentarité, les solidarités familiales, nationales – équivaut à la mort. Le monde n’a de valeur que dans le mouvement d’où cette propension de l’ « homo sorosensus » au mouvement perpétuel, au nomadisme universel, à une infidélité à tout faisant de l’homme postmoderne un miroir à la fois de Protée et de Dom Juan. L’ « homo sorosensus » est dit libre parce qu’il est désancré, parce qu’il renonce à toute communauté naturelle dans un individualisme qui atomise la société et le bien commun. L’ancrage dans une ethnie est elle aussi condamnée par cette vision d’où le mythe régénérateur du Migrant, du Métis qui est l’ « homme nouveau ». A travers le métissage, l’homme est augmenté, il devient l’homme total, le microcosme universel de toutes les races. La « société ouverte » de Karl Popper (transposée en « Open society foundation » par Soros, son disciple) est le creuset de ce monde déterritorialisé sans Etats dont le sinistre Pacte de Marrakech sur les « migrations sûres, ordonnées et régulières » signé en décembre 2018 par la France est l’instrument juridique, bien entendu « non contraignant »…
L’objectif de George Soros est de faire disparaître non seulement les Etats mais aussi et surtout l’Occident chrétien. Il sait pertinemment que le christianisme est protecteur de la hiérarchie entre la créature et le créateur. Pour faire naître cette anthropologie prométhéenne, Soros a besoin de dissoudre l’identité chrétienne. La promotion de l’immigration est une extraordinaire opportunité pour l’islamisation de nos communautés nationales, transformées en « territoires » de passage et de brassage.
Ce désancrage généralisé, cette extraction de la terre natale, cette injonction à l’oubli des ancêtres sont nommés « humanisme », « philanthropie », « ouverture » pour mieux masquer la barbarie à l’oeuvre qui fait deux victimes : les sociétés occidentales remplacées et les « migrants », déracinés, jetés dans un monde qui leur est et leur restera étranger. L’ici devient partout l’ailleurs. Cette dystopie promue par Soros a bien été évoquée par Philippe de Villiers dans J’ai tiré le fil du mensonge et tout est venu (« Le Fils spirituel » chapitre XVII), par Michel Geoffroy dans La super-classe mondiale contre les peuples. Mais le rapport méticuleux et courageux de Grégor Puppinck nous apporte le chainon manquant : la stratégie à petits pas d’une pénétration par le droit de cette idéologie mortifère. Qu’il en soit vivement remercié.