Le coronavirus vient de mettre en lumière les apories de la postmodernité. Nous sentons advenir un moment de transition dont il pourrait être un bien involontaire accélérateur.
Rétrospective
Un rapide coup d’œil historique trace les grandes étapes de notre errance dont l’épisode historique du coronavirus est un révélateur : 1789, 1945, 1968 sont les grandes fractures ontologiques et anthropologiques d’un cycle qui s’épuise et dont nous ne cessons de voir l’agonie.
L’avènement postrévolutionnaire de l’individu, du bonum quia volutum (une chose est bonne parce que je la veux) supplantant le volutum quia bonum (je veux une chose parce qu’elle est bonne), signe le passage de l’âge de l’objet, déjà fragilisé par le cartésianisme à l’âge du sujet. Dans un retournement ironiquement tragique, la promotion du sujet marque la fin du sujet du Roi. Le pouvoir émane de la somme des volontés individuelles qui constituent la volonté générale. Au pouvoir du souverain se substitue la souveraineté du pouvoir, abandonnée à elle-même. A l’hérédité incarnée se substitue l’arithmétique désincarnée du pouvoir, la loi de la majorité qui relève autant directement de ROUSSEAU qu’indirectement de LEIBNIZ. L’idéal est bien de trouver une harmonie universelle politique sur la base de monades incarnées dans les volontés individuelles qui en s’exprimant, quel que soit ce qu’elles expriment ,définissent le cadre de la légalité et du droit.
1945 marque le recul des nations. La tentative avortée de la Société des Nations en 1919 laisse place à la Charte de San Francisco du 26 juin 1945 dont l’idéal rejoint le cosmopolitisme kantien fondé sur la recherche de paix perpétuelle. Sur un fond bien légitime de « Plus jamais ça », il s’agit de constituer une communauté internationale, une supra-conscience identitaire où l’identité humaine l’emporte sur les identités nationales, assurant la concorde entre les hommes. Cet objectif politique correspond malheureusement à un retrait de la métaphysique qui est précisément l’instrument par lequel on perçoit la primauté de l’homme sur sa particularisation dans les identités nationales. Ainsi, désertant son lieu originel, l’ontologie s’est politisée, d’où l’idéologie marxisante du « Tout est politique » et son pendant libéral « Tout est société civile ». La tragédie du monde post-1945 est qu’il porte en lui une politisation de la métaphysique, ce qui va engendrer jusqu’à aujourd’hui le règne des idées abstraites, désincarnées, une naturalisation et politisation des idées chrétiennes dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, une promotion des « valeurs républicaines » éthérées qui sont une convergence entre morale (la « moraline » de NIETZSCHE), la politique et un vague art de vivre.
1968 est une sorte de déploiement naturel de cet état de fait, sa mise en théâtre. 1968 vient résoudre une inéquation. La sociologie ancienne (prolétariat, ouvrier, petite et haute bourgeoisie), la morale bourgeoise encore imprégnée de verticalité ne peut se concilier avec le marxisme grandissant dans les universités demandant une horizontalisation des rapports sociaux, avec une psychanalyse de plus en plus influente dont la vulgate encourage le meurtre du père. Il faut définitivement détruire toute échelle, toute verticalité, tout héros, tout père.
Notre postmodernité est le produit de ce long voyage dans l’abandon de Dieu, du héros, du saint, du père, de la tradition, de l’héritage. L’individu se retrouve seul. Cette solitude ressemblait au début des années 90 à la solitude heureuse des dieux épicuriens : ouverture des frontières, ouverture à l’autre, libéralisation de tout, libre circulation des biens, des personnes, des capitaux, la société liquide, la fluidité, le tutoiement et l’interaction généralisés, « you and me ». Une Europe anglo-saxonne est née avec Maastricht, une Europe en carton, en dossier, et en papier qui oublie sa part méditerranéenne, s’amuse à l’endetter dans les années 2000, à l’appauvrir puis à l’humilier. Une Europe-excel, miroir de son rejeton, les États-Unis, un enfant terrible qui a vieilli, qui a dominé le XXème siècle mais qui s’apprête à céder la domination du XXIème siècle à la Chine comme le dit Eric Zemmour (Le Figaro Magazine du 26 mars 2020).
Voilà le destin que nous prépare un Occident fatigué de lui-même.
Le coronavirus nous dit cette fragilité, cette friabilité. Cette tragédie nous invite à réfléchir sur la fin de tout ce système qui porte à mon sens un déploiement politique – du moins en France – dont je souhaiterais esquisser les étapes. C’est une prospection et sans doute aussi un souhait.
Hic et nunc
Le gouvernement d’Emmanuel Macron ne parvient pas à gérer la crise sanitaire qui nous a assaillis. Il se mue en chef de guerre le 16 mars et ne parvient à choisir ni les hommes ni les armes pour mener la guerre. Le psychodrame assez grotesque autour du Pr Raoult, tour à tour dans les médias affiliés au pouvoir, original, psychopathe, grand sorcier, et enfin génie de la médecine, montre l’incapacité du gouvernement à prendre un cap et s’y tenir. Au défaut d’anticipation avéré de décembre à mars 2020 s’est ajouté de graves défaillances dans l’improvisation en mars 2020. Le confinement issu de la loi dite d’Etat d’urgence sanitaire montre deux choses : inégalement appliqué sur le territoire, le confinement dévoile l’incapacité de l’Etat à faire appliquer un droit, un justice à des peuples qui divergent. Il est ensuite le fruit d’une paupérisation croissante de notre système de santé qui apparaît au grand jour signalant une tiers-mondisation de nos services publics que l’on peut d’ailleurs extrapoler à d’autres services publics comme la police nationale, l’éducation.
L’Etat libéral postmoderne ne sait plus servir son propre peuple : parce qu’il ne sait plus quel est son peuple, parce qu’il disperse ses forces pour l’Autre (l’altérocratie) , parce qu’il ne sait plus prioriser ses actions en faveur du bien commun. Il entérine un peuple d’inhéritiers : face aux pénuries de lits, de moyens de soins, on a maintes fois entendu, dans les conversations privées, dans les médias, la possibilité de trier, de prioriser les personnes à soigner ce qui expose scandaleusement les personnes âgées. La barbarie potentielle de ce monde qui ne jure que par l’optimisation en flux-tendu apparaît de manière patente.
Emmanuel Macron est le parangon du chef d’Etat postmoderne. Pierre Musso dans Le Temps de l’Etat-entreprise inscrit Macron dans le modèle BTM (Berlusconi – Trump – Macron), un chef d’État dans un Etat-excel, oublieux du bien commun pour se muer en facilitateur de liquidité, une start-up nation gérant un territoire qui n’a pas de culture propre (« Il n’y a pas de culture française ») , c’est-à-dire qui n’a pas de tradition, pas d’histoire, un territoire vierge de terre, de morts, un État connecté, virtuel constitué par sa seule société civile choisie issue de boboland et des premiers de cordée. L’affaire du coronavirus a montré que cette sociologie masquait les forces essentielles qui tiennent la France lorsque le bateau se met à tanguer : les infirmières, les policiers, les livreurs, les postiers, les caissières, les enseignants et tant d’autres métiers qui sont sous-payés, prolétarisés par le mondialisme libéral.
Prospective
Pour toutes ces raisons, et quelle que soit la remontée de popularité dont il bénéficie en ce moment, Emmanuel Macron, s’il se représente, devrait échouer en 2022.
Les Français ont compris que la société liquide promet la mobilité aux premiers de cordée et assigne à résidence la France périphérique. Ils ont compris à travers le mouvement des Gilets Jaunes qu’il existe une France invisible, indicible, impolitique que la start-up nation ne veut pas compter dans sa sociologie. Il existe une France archipelisée comme le dit Jérôme Fourquet que l’on enrobe du nom de « vivre ensemble », une France multi-fracturée entre un peuple indigène, une peuple d’origine immigrée assimilé, un peuple d’origine immigrée islamisé qui veut faire sécession, une bourgeoisie naïve fascinée par le multiculturalisme, et une élite mondialisée qui est déjà hors-France. Ces galaxies sociologiques s’écartent les unes des autres comme dans un univers en expansion et peinent à « faire France » comme le disent stupidement les communicants de l’Elysée. Cet état de fait provient d’une posture politique bien antérieure à celle d’Emmanuel Macron mais dont il pourrait payer l’addition ; celle du pacifisme social inconditionnel quel que soit le prix à payer y compris la cohésion de la nation, posture de Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande mais c’est le tragos, Emmanuel Macron, qui va être sacrifié. Malheureusement pour lui, il a incarné le parangon du chef d’Etat mondialiste, chef executive officer parfait de Davos-France. La perfection du modèle fera de lui la victime idéale.
La politique est comme la psychologie freudienne. Les Français avaient un tabou : le Rassemblement national qui a incarné pendant des années, sous l’égide de la propagande médiatique, le diable, le ça pulsionnel, passionnel qu’il fallait à tout prix maîtriser sous peine de sombrer dans la folie politique. La stratégie de « dédiabolisation » conduite par Marine Le Pen est en train de construire les bases d’un déplacement du ça vers le moi voire le surmoi. Le Rassemblement national, plus que tout autre parti, incarne en effet aujourd’hui une sorte de surmoi républicain qui lutte seul contre le communautarisme diviseur, contre les compromissions avec les cercles d’influences islamistes dans les villes. Le Rassemblement national a mené sa mue, sa gentrification en se donnant des cadres issus de l’énarchie (souvent compétents et éloquents comme Jean Messiha) ce qui lui donne une crédibilité accrue dans des domaines historiquement moins familiers comme l’économie, la politique sociale.
Il paraît évident que les Français ont besoin de passer par le Rassemblement national. Il est l’impensable politique, un tabou tellement fort que le vote pour ce mouvement permettra aux Français, passionnés par les grands chambardements, de faire leur révolution à moindre frais, par les urnes et légalement.
Mais le Rassemblement national décevra non parce qu’il n’est pas en capacité de prendre en charge politiquement et administrativement certaines questions de politiques publiques mais parce que son logiciel politique n’est déjà plus adapté à la situation tragique que nous connaissons. A moins d’une mue, s’il continue à estimer que le Grand remplacement à l’œuvre dans tout l’Occident est un « slogan d’intello », il se prive d’une grille de lecture qui conditionne comme le dit Renaud Camus toutes les autres.
Le Rassemblement national refuse et refusera la question épineuse du peuple français. Sans définir rigoureusement ce qu’est la France et le peuple français qui en constitue son cœur vivant, il sera dans l’incapacité de donner une destination claire aux politiques publiques qu’il mettra en œuvre. Nous n’aurons sans doute pas le régime outrancier d’altérocratie que nous connaissons aujourd’hui, mais nous serons prisonniers d’une définition juridique stricto sensu du peuple français qui a constitué la pseudo-France de papier et de carton qui ne rêve que d’une chose : se retourner contre le peuple indigène, le remplacer et instaurer un ordre allogène, dont la charia est la manifestation la plus spectaculaire.
Marine Le Pen, qui portera probablement le projet présidentiel en 2022, reste fondamentalement une fille de « gauche ». Déjà atypique dans la famille Le Pen, née en 1968 – elle n’y peut rien je le concède mais c’est tout un symbole… – elle n’a pas hésité à tuer politiquement et symboliquement le père en 2011 lorsqu’elle a pris sa succession. Le sacrifice du patriarche, avec des précautions et une élégance parfois douteuses, n’est pas trop dans les mœurs de la droite. Elle fête ses victoires comme elle fête ses défaites, se rapprochant ainsi de l’homo festivus quoiqu’il arrive, alors que l’on attend une ligne politique qui en sape justement les fondements. Le Rassemblement national ne débarrassera les Français ni de 1789 – il en est peut-être le meilleur représentant aujourd’hui – ni probablement de 1968 du moins dans ses lignes les plus subtiles. Je n’ose pas imaginer qu’elle ne se positionne pas défavorablement par rapport à la PMA et la GPA. Mais je sens une friabilité sur les problématiques sociétales qui pourraient bien transformer l’exercice du pouvoir par le Rassemblement national en programme de droite « dure » mais sans faire le deuil du progressisme et sans oser détruire intégralement l’héritage sociétal et révolutionnaire. Le seul point sur lequel, il aura une position ferme est sur le cosmopolitisme et le mondialiste. On les sent armés pour construire un protectionnisme économique stratégique en phase avec le localisme économique qui semble faire un retour en force.
Mais le Rassemblement national réussira précisément par ce qui le fera échouer : il assumera et prendre même comme un étendard l’héritage révolutionnaire. Il en sera même le représentant montrant aisément dans la campagne que tout l’extrême-centre dresse les Français les uns contre les autres dans une politique en archipel, communautarisée, contraire à la « République une et indivisible », qui commence à jouer comme un repoussoir dans l’opinion.
Les Français se rendront alors compte que ce calice politique postrévolutionnaire, bu jusqu’à la lie, laisse intacts la crise identitaire, le remplacisme global, le progressisme sociétal, les ambiguïtés sur l’Europe, la coexistence de deux peuples sur le territoire national même si certaines actions devraient être entreprises dans ce domaine.
Que restera-t-il alors ? Les Français ne pourraient-ils pas être amenés à chercher une figure politique qui incarne l’identité de la France, qui soit l’irremplaçable par excellence, qui par son irremplaçabilité amène la France vers une culture politique différente, non plus soumise aux caprices changeants et aléatoires de la volonté mais ordonnée à une stabilité qui permette d’entreprendre de véritables politiques publiques avec l’esprit du bien commun. Les Français ne pourraient-ils pas chercher une figure politique qui ne soit justement pas seulement politique mais aussi une figure qui porte en elle la tradition historique de notre pays, sa mémoire, son destin, sa spiritualité ? Sans passé, la France ne peut aller nulle part. Sans perspectives d’avenir, la France ne peut qu’oublier sa grandeur. Pour cela, les Français ont besoin de se libérer de 1789, de l’après 1945, de 1968, de ces jalons qui ont amené la France vers l’impasse du progressisme.
Cette prospective est un badinage politique. Mais elle a un fond de sérieux. Je souhaite de tout cœur que le débat public porte très rapidement sur la tragédie du remplacisme global et sur les moyens appropriés pour y mettre fin. Je considère que le retour à la monarchie permettrait de rendre la France à elle-même et ainsi de sortir de ce cycle de la postmodernité remplaciste où tout se liquéfie, tout se mélange, tout s’uniformise, les peuples, les noms, les paysages, les cultures.