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« La mondialisation est terminée » ?

imagesArnaud MONTEBOURG qui évoquait en son temps la nécessaire « démondialisation » a déclaré sans ambages le 30 mars dans un article du Figaro: « La mondialisation est terminée ». Le coronavirus a montré en effet les limites voire la nocivité d’une approche mondialiste de l’économie.  Avec la chute du mur de Berlin, le libéralisme mondialiste n’était plus une option possible pour les politiques publiques mais l’horizon indépassable de toute politique, un système signant la fin de l’histoire et concaténant toutes les économies nationales dans un  même mouvement, liquide, sans frontière.

Économie libérale et l’anthropologie de la servitude volontaire

Pour accomplir le libéralisme économique, quelque préalables anthropologiques et politiques ont été nécessaires.

Il a fallu que s’impose une rationalisation intégrale dans les processus de production et mettre en chaîne l’homme et la machine dans une interdépendance mutuelle pour assurer l’optimisation des produits manufacturés. L’organisation scientifique du travail définie par Frederick Winslow TAYLOR dans The Principles of Scientific Management (1911) est fondée sur le séquençage des tâches permettant une maximisation des rendements, une spécialisation et une distinction entre celui qui pense le travail (l ’ingénieur) et celui qui l’effectue (l’exécutant). Cette conception éloigne le travailleur de l’artisan qui par son art parvient à faire la synthèse des deux fonctions. Sur le plan anthropologique, c’est une cassure entre la main et l’esprit de l’homme. Séquencer le travail, fut une extraordinaire expérience de séquençage de l’homme lui-même et un nouveau mode de servitude.

Il a fallu aussi donner une traduction politique à la spécialisation  et division internationale du travail qu’Adam SMITH dans Recherche et cause de la richesse des nations (1776) analyse comme un mécanisme essentiel du progrès économique. David RICARDO y voit à son tour, à travers la théorie des avantages comparatifs exprimée dans les Principes de l’économie politique et de l’impôt (1817), une saine interdépendance entre les pays qui préfigure le système gagnant-gagnant (win-win) de la théorie des jeux. Alors que la division internationale du travail est fondée précisément sur la nation qui est l’espace de l’avantage comparatif de telle ou telle production (l’exemple du drap en Angleterre et du vin au Portugal), le libéralisme postmoderne a progressivement transformé les nations en territoires économiques, fluides, sans frontières propres, interchangeables impliquant une libre circulation totale des biens, des capitaux et des hommes.

L’économie libérale a dénaturé ainsi nos ancrages historiques et conduit à une uniformisation des mœurs, des territoires qui a contribué à tout considérer comme interchangeable. Cette économie a réduit la diversité culturelle, écologique et humaine. Ce que Renaud CAMUS nomme le « remplacisme global » est au cœur du dispositif libéral et la crise du coronavirus est venue lever cette illusion du caractère inconditionnellement bénéfique des échanges.

Économie sans-frontières : la frontière, virale ou immunitaire ? 

L’affaiblissement des effets frontières a été le marqueur politique et économique des années 1945-2015 : création de la CEE en 1957, de l’ASEAN en 1967, de l’APEC en 1989, du MERCOSUR en 1991, adoption du Traité de Maastricht en 1992, création de l’ALENA en 1992,  généralisation de la monnaie commune en 2002, Traité de Lisbonne de 2007, crise migratoire de 2015 aboutissant au Pacte de Marrakech de décembre 2018. Nous héritons aujourd’hui d’une situation où aucun moyen  de régulation – ou très peu – ne vient entraver la circulation anarchique des biens, des monnaies et des hommes. L’élargissement des zones monétaires (zone dollar, Eurozone, zone yuan, zone CFA, …) a accentué la liquidité des échanges. La déclaration de François Mitterrand, le 17 janvier 1995 au Parlement de Strasbourg « Le nationalisme c’est la guerre »  a durablement marqué les esprits, et a été vécue comme un legs testamentaire consacrant la nécessité du Marché Unique et de l’espace économique européen théoriquement sanctuarisé par Schengen. Certes, les tensions internationales, consécutives aux attentats du 11 septembre 2001, ont fait courir des risques sur la fluidité des échanges. Mais l’Accord sur la Facilitation des Échanges (AFE) signé en 2013 à Bali et ratifié par pas moins de 143 pays est destiné à simplifier les formalités douanières permettant en toutes circonstances de dynamiser et de fluidifier les échanges internationaux. Sauf que … A mesure que l’idéologie mondialiste et sans-frontiériste gagnait du terrain, les défenseurs des frontières, des barrières se voyaient opposer tout à tour une fin de non-recevoir sociale, médiatique et politique.  Des années 1990 à aujourd’hui, celui qui venait parler frontières, barrières douanières était le rabat-joie de la mondialisation heureuse, l’imbécile incapable d’entrer dans le Cercle de la raison, le contempteur scandaleux du multilatéralisme érigé au rang de religion politique notamment sous l’influence de la diplomatie Obama.

Multilatéralisme, multipolarité, multiculturalisme. Tel fut le paysage intellectuel et politique dans lequel s’est structurée l’économie du début du XXIème siècle. Lorsque les échanges, les interactions doivent être permanentes, on échange tout : les crédits, les biens, mais aussi les produits toxiques, les créances douteuses, les virus comme nous l’ont appris les crises respectives de 2007-2008, de 2011 et maintenant de 2020.

L’épisode du coronavirus a mis en évidence une chose essentielle : la frontière, il n’y a pas si longtemps, vécue comme une salissure morale, une division coupable de l’unité humaine, un fauteur de trouble de  fraternité universelle, un perturbateur des équilibres économiques dits « naturels », est investie d’une force symbolique nouvelle. Comme l’a dit François LENGLET dans une émission radiophonique le 30 mars 2020 : « On n’a pas fermé les frontières pour des raisons idéologiques (…) Pourquoi la frontière serait-elle bonne autour d’un foyer familial et mauvaise dans un pays ? » . Une intervention inédite et révélatrice d’un état d’esprit nouveau en France qui prend ses distances avec l’idéologie de la Convention de Schengen du 19 juin 1990 qui substitue à la frontière géographique une frontière mouvante, fluctuante. On redécouvre le rôle régulateur, protecteur et immunitaire de la frontière. Sur le plan strictement économique, on substitue à la vision irénique des échanges extérieurs,  systématiquement porteurs de progrès et de prospérité, une conception plus réaliste où les échanges sont neutres axiologiquement et peuvent être bons ou mauvais, la frontière permettant un arbitrage et un choix de la Nation en fonction de ses intérêts.

Cette déclaration entre en résonnance avec la publication récente des Vertus du protectionnisme de Yves PEREZ qui évalue le coût de l’extraversion économique : le poids de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière dans le PIB français de  17,6% en 1990 n’a cessé depuis de diminuer régulièrement pour tomber à 14,1% en 2000, 10,9% en 2008 et 10,2% en 2016. Il souligne la « saignée » dans l’emploi industriel passant de 4 millions d’emplois en 2000 à 2,8 millions en 2017 et constate un déficit structurel durable depuis 2003 voyant ses parts de marché décliner de 17% à 11,7% en 20 ans. Depuis 2016 certes, nous observons une remise en cause pratique du « plurilatéralisme » notamment par des accords commerciaux préférentiels (ACP) privilégiant le bilatéralisme ou le régionalisme (en 2018, 306 ACP sont en vigueur en 2018).  On assiste même à  une amorce de régulation protectionniste des échanges, notamment à travers une guerre commerciale assez intense entre la Chine et les États-Unis Dès le 23 mars 2018, Donald Trump  appliqué ses premières taxes douanières sur l’alumimium (+ 10%) et sur l’acier (+ 25% !) et les Chinois ont riposté par des taxes douanières sur 75 milliards de dollars de produits agricoles, pétrole, automobiles, pièces détachées, ce qui a entraîné une escalade tarifaire portant le 1er octobre 2019 la taxation américaine  à 30% ! On a redécouvert qu’une économie ouverte était une proie facile et dans un contexte de guerre économique, ouvrir les frontières sans contreparties correspond à aller au champ de Mars sans armure et sans armes.

Désindustrialisation, tertiarisation et développement de l’économie « mercurienne ».

La Désindustrialisation malheureuse

La désindustrialisation a longtemps été perçue comme un signe de progrès économique. Et la France s’est jetée dans cet idéal car elle n’a jamais été en situation d’avantage comparatif concernant l’énergie. C’était son point faible lors de l’ère du charbon, ses bassins houillers étant comparativement à L’Angleterre peu nombreux et plus difficiles à exploiter. Cela l’a profondément handicapée notamment pendant la deuxième partie du XIXème siècle. L’énergie, à l’ère du pétrole, l’a conduite à un situation de dépendance à l’égard des pays de l’OPEP. Ces situations de dépendance énergétique ont favorisé le basculement intellectuel vers la dématérialisation de l’économie et le surinvestissement désordonné du début des années 2000 dans les technologies de l’information.

La division horizontale du travail (par secteurs économiques selon RICARDO) s’est transformée en division verticale selon une logique taylorienne : l’ingénierie et le secteur tertiaire pour l’Occident, et l’usinage et l’assemblage pour les pays asiatiques et notamment la Chine.  Mais les échanges internationaux mouvants et liquides ont entraîné une concentration du capital dans les industries chinoises qui ont pu développer une Recherche & Développement efficace et sortir de ce rôle d’atelier du monde pour assurer l’intégralité des filières industrielles, de la recherche fondamentale, appliquée, à la preuve de concept jusqu’au développement industriel : il suffit de voir les publications scientifiques chinoises et les dépôts de brevets sur les 10 dernières années pour s’en convaincre !

La Chine devait rester un atelier ad vitam aeternam, se professionnalisant, s’optimisant mais sans dépasser le statut qui lui était attribué par la division internationale du travail, vue d’Occident. Illusion funeste car nous avons assisté à une dialectique du maître et de l’esclave à l’échelon planétaire. Le pays confucéen, conscient de la centralité intrinsèque de sa civilisation, industrieux et discipliné a fini par supplanter une économie européenne qui a vécu pendant les 25 dernières années du XXème siècle les illusions du postindustrialisme. Les pays européens – et la France en particulier – se retrouvent dans une situation de pluridépendance intenable qui nous dessaisit de notre souveraineté économique stratégique. Cette situation de pluridépendance a été occultée par une série d’illusions.

A la fin du XXème siècle, les travaux de Jérémy RIFKIN sur la possible fin du travail sont venus entretenir l’idée d’un Occident postindustriel, dans une économie de la connaissance (Stratégie de Lisbonne de mars 2000) où le travail serait totalement dématérialisé, surqualifié, et constitué, outre les ingénieurs et les employés d’un Tiers secteur : celui de l’économie sociale et solidaire.

Les illusions de l’Économie mercurienne

La tertiarisation a été considérée le secteur de la création de valeur. La croissance de la silver economy autour de la dépendance consécutive au vieillissement de la population, le rejet de la pénibilité du travail par une société hédoniste soucieuse du bien-être individuel, le choix éducatif de privilégier des études longues, disqualifiant de fait les emplois agricoles, artisanaux ou industriels, la valorisation culturelle des métiers « mercuriens » liées au commerce ou à la communication, tout cela a contribué à développer de manière quasi-exponentielle les métiers du tertiaire.

Diagramme secteurs éco

Parallèlement, l’individualisme a fait disparaître progressivement les formes traditionnelles des solidarités professionnelles comme les syndicats (taux de syndicalisation de 11,2% en 2013 et de 11% en 2016). Tout cela a contribué à défaire le lien affectif, politique et professionnel avec l’industrie.

Cela va plus loin. Le couple désindustrialisation-tertiarisation, le souci politico-économique très rifkinien d’empathie comme moteur de l’économie mondiale (repris par Jacques ATTALI avec l’économie positive) change totalement l’orientation économique de la société. Empathique, l’économie doit créer de la plus-value par le Service de l’autre et réaliser par-là l’idéal libéral de la convergence des intérêts individuels et collectifs. Cette position, politiquement très porteuse, porte le Service individuel comme valeur d’échange suprême au détriment d’ailleurs des Services publics. Industrie, services publics : tout le paysage structurant mentalement l’approche politique française disparaît sous nos yeux et l’ensemble de la population se sent de fait précarisée, fragilisée.

Financiarisation et virtualisation de l’économie : l’économie sans oikos et sans nomos

La financiarisation et surtout sa digitalisation ont  conduit à une virtualisation de l’économie pour ainsi dire libérée du monde réel, de la chose, des limites et du présent. La vitesse de circulation des monnaies scripturaires ont provoqués une banalisation des spéculations qui sont devenues le monde d’être de l’économie financière. La déréalisation de l’économie finit par provoquer une rupture illusoire entre l’économie financière et l’économie réelle.

La digitalisation a aboli en outre le lien entre espace et économie. La virtualisation de l’économie financiarisée a conduit les échanges à se mener par des algorithmes. Ces nouvelles routes numériques jalonnées par les hubs que sont les métropoles mondialisées ont conduit à une désertification économique de territoires entiers constituant la France périphérique dont parle Christophe GUILLUY. Désindustrialisation et financiarisation ont remodelé les acteurs de l’économie : les « nouveaux marchands » comme le dit Pierre-Yves GOMEZ dans l’Esprit malin du capitalisme sont les spéculateurs, les marchands de monnaie, les marchands de rêve et d’avenir dans une économie fonctionnant sur l’anticipation de plus-value, une économie sans oikos et sans nomos.

L’économie, ce sont des représentations, un imaginaire. L’imaginaire industriel ne faisait plus partie de l’économie mondialisée et virtualisée, orientée vers le service.  La mondialisation, sur fond de désindustrialisation, a entraîné une situation de dépendance, de précarité des économies européennes qui sont entrées dans la spirale intenable de la paupérisation et d’un endettement intenable à court terme. Nous devons repenser l’économie en termes de protection, de relocalisation, de réindustrialisation, de dévirtualisation.

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