L’après-confinement : nous n’en sommes malheureusement pas là. La sortie de crise n’est pas actée et nous déplorons encore quotidiennement un nombre important de victimes qui montre s’il en était besoin le caractère tragique de l’histoire que nous vivons. Le Premier ministre, Edouard Philippe dimanche 19 avril 2020 lors de sa conférence de presse a lui-même évoqué ce changement de paradigme : « notre vie à partir du 11 mai ce ne sera pas exactement la vie d’avant le confinement. Pas tout de suite et probablement pas avant longtemps ». Il a même écarté le scénario de la simple parenthèse, que refermerions comme un mauvais rêve une fois passée la crise – mot valise dans lequel nous mettons tout et n’importe quoi. Le premier ministre a suggéré un effet transformateur de cet épisode, profond et durable.
A partir du 11 mai justement, c’est un sorte de rentrée pour les écoles, collèges et lycée.
La réouverture des écoles et collèges répond à deux impératifs dont l’un a été clairement et expressément mentionné : libérer les parents pour qu’ils puissent retourner physiquement au travail et contribuer à faire repartir l’économie. L’autre objectif est de sortir enfin les enfants de la famille et reprendre le cours de l’éducation républicaine trop longtemps interrompu. Pourtant, si une institution avait besoin d’un « break », il s’agit bien de l’Education nationale.
L’Education nationale, depuis les années 60 et clairement depuis 1975, est entraînée dans une pente descendante absolument désastreuse sur laquelle s’accordent tous les observateurs un peu sérieux.
Cette dégringolade de notre système éducatif a plusieurs facteurs explicatifs. Je me bornerai à en rappeler certains qui sont plus structurants que d’autres et malheureusement dévastateurs :
- Le rôle de l’école républicaine est idéologique. L’école doit apprendre à l’élève l’habitus révolutionnaire. Jean de VIGUERIE le rappelle dans L’histoire du citoyen. L’école à partir du Directoire est destinée à former l’ « être nouveau », ce soldat de la liberté qui doit s’émanciper et émanciper les autres peuples de la servitude des Empires et des monarchies. Certains ministères ont poursuivi ce rôle avec beaucoup de zèle. Jules FERRY, athée positiviste, impose aux maîtres des écoles catholiques un « brevet de capacité », remplace l’instruction morale et religieuse par l’instruction morale et civile. Il s’agit pour lui d’instiller dans l’esprit des jeunes enfants l’appartenance à cette mystique de l’Humanité « incessamment sauvée, grandie, améliorée ». Vincent PEILLON, dans sa « refondation de l’école » ajoute à cet objectif celui d’éduquer à la citoyenneté c’est-à-dire de maintenir en chaque élève la flamme révolutionnaire. Le ministre dit lui-même que l’école est une « nouvelle église » et les maîtres un « nouveau clergé » et que le système scolaire est une « Révolution permanente ». Pour introduire le chaos dans les apprentissages et le conformisme de la pensée, rien de tel… Les culottes courtes doivent être des sans-culottes. Rien n’a changé depuis.
- Cette « Révolution permanente » a tué l’école car elle a détrôné le maître qui n’est plus qu’un animateur de classe, un ingénieur de formation, prolétarisé, méprisé de tous, de la société et de ses élèves. L’école est prise dans cette injonction contradictoire tragique : il faut assurer des apprentissages et apprendre aux élèves à s’émanciper de tout apprentissage pour libérer la créativité, l’expression. Cette position intenable contribue à la crise des vocations professorales, aux démissions nombreuses – encore mal quantifiées et pour cause… – dès les premières années de stage.
- L’école est le creuset du cosmopolitisme postmoderne. Il ne faut même plus engendrer un citoyen patriote. Celui-là est passé de mode. Il s’agit maintenant de déraciner les sentiments d’appartenance familiaux, culturels, patriotiques pour plonger l’élève dans le grand bain de l’humanité indifférenciée, sans qualité, sans ancrage. Il s’agit de démythifier la famille, de détruire les ancrages mémoriels, linguistiques qui fondent l’enracinement d’une personne dans une culture. Pour une raison très simple à comprendre : l’élève doit être un citoyen du monde. Pour l’être, il doit oublier son histoire, oublier sa langue, oublier ses références culturelles. Cette décérébration a pour fonction de remplacer la réflexion par la moraline, , soi-même par l’Autre, la Patrie par le monde, « l’Europe par l’Afrique », l’orthographe par le charabia, l’écoute par l’expression, l’ordre et l’immobilité par le mouvement perpétuel, le silence par le bruit. Le bruissement de la langue est devenu une cacophonie verbale indigeste.
- L’école est un lieu de divertissement au sens pascalien du terme. Il faut préparer l’homo economicus et l’homo ludens et surtout le divertir de sa propre culture. Il faut ouvrir une brèche dans son environnement civilisationnel pour qu’il se sente coupable, qu’il veuille lui-même s’oublier et se soumette à ce catéchisme désastreux du vivre ensemble. C’est la raison pour laquelle l’école n’est plus un lieu d’attention, de concentration et d’écoute. Pour le dire crûment, c’est le bordel dans la plupart des classes. Il n’y a pas d’autres mots. Les enfants ne peuvent plus se mettre en situation d’études ou le professeur doit employer des trésors d’ingéniosité. Encouragé par le marxisme et l’anarchisme constitutifs de l’idéologie pédagogiste qui est encore ancrée dans les cadres de l’Education nationale, cette pagaille se retourne sévèrement contre l’école. Elle détruit toute école au sein même de l’école. Le langage ésotérique développé par les pédagogistes (« apprenant », « groupe-classe », « réussite pour tous », « excellence ») joue le rôle de masque pour cacher le désastre.
- Les « usagers » de l’école se transforment. La composition sociologique, ethnique et religieuse des élèves depuis un trentaine d’années suit la courbe de l’immigration irresponsable qui a été imposée par les politiques publiques depuis 1974. La quasi-simultanéité entre le décret instaurant le regroupement familial (décret du 29 avril 1976) et la loi relative au collège unique (loi HABY du 11 juillet 1975) traduit ce souci de mixer les peuples, d’opérer un creuset national mais plus français. Opération réussie puisque l’ interdiction des statistiques ethniques nous empêche même d’analyser la composition des établissements classés REP+ à Trappes ou à Aulnay-sous-Bois… Certains professeurs sont devant un autre peuple, doivent inculquer la France a des élèves élevés dans sa haine considérant l’école comme une seconde colonisation alors que son ambition en est bien loin. L’école, notamment dans les quartiers scandaleusement appelés « populaires » n’est que le miroir de leur refus de France.
- Les professeurs, eux-mêmes, se transforment, culturellement. La masterisation des concours de l’enseignement, l’emprise de l’esprit post-68, ont fait reculer la rigueur académique au profit d’un pédagogisme militant qui laisse des traces chez les jeunes professeurs. Tous ces acteurs dérivent inéluctablement dans une école-radeau incapable de transmettre un patrimoine parce que la plupart de ces acteurs n’en connaissent tout simplement pas l’existence ou ne voient pas l’intérêt de l’enseigner.
La crise du Covid-19, je le crains, ne va pas faire disparaître ces tendances. D’autres, qui vont malheureusement dans le même sens, sont au contraire en train de s’affirmer.
- La bureaucratisation : l’éducation nationale est prise d’une frénésie de statistiques. Les « cohortes » d’élèves sont passées au peigne-fin pour analyser leurs performances scolaires à grands coup d’évaluations numériques, d’enquêtes diverses destinées à croiser et recroiser des chiffres qui disent tous la même chose : le changement de peuple, la déculturation et l’effondrement du niveau scolaire. Cette frénésie de chiffres, dont on ne tire d’ailleurs aucune interprétation sérieuse, donne l’impression d’une maîtrise, d’une scientificité de la politique éducative alors que nous ne maîtrisons plus rien.
- L’aveuglement institutionnalisé : par le refus de l’évaluation chiffrée qui dirait sans doute trop crûment la réalité. Alors on parle « classes sans notes », « compétences » dans le plus pur style managérial. On transforme la relation maître-élève en relation de coaching pour discréditer l’évaluateur. Dans cet aveuglement orchestré, la quasi-disparation du redoublement est une réussite comptable mais une catastrophe scolaire et sociale. Les élèves sont brassés dans une indistinction entre le bon et le mauvais, le travailleur et le fainéant extrêmement démotivante pour celui qui veut … travailler. Le sophisme de la réussite pour tous masque la destruction de l’ambition pour chacun.
- La digitalisation progressive de l’enseignement. Le Covid-19 a conduit à la fermeture des écoles et a par conséquent généralisé la pédagogie à distance. Certains établissement étant ingérables, et cette tendance devant probablement aller s’accentuant, il pourrait être tentant de recourir à cet instrument pour continuer à donner des cours aux élèves motivés et écarter ceux qui ne sont en classe que pour saboter. Néanmoins, cette digitalisation désanctuarise l’école. L’école, n’a plus un lieu propre, l’espace de la classe, mais on a « appris » qu’elle pouvait se faire autrement par réseau numérique interposé ce qui flatte l’individualisme de l’élève, se connectant ou refusant de se connecter sans que sa présence soit rigoureusement contrôlée. Cela conduit à désacraliser encore davantage la parole magistrale – une désacralisation déjà largement entamée – que l’on peut suivre, suivre distraitement ou interrompre à sa guise comme on le ferait pour n’importe quelle vidéo de réseau social.
- La restructuration de l’organisation des classes : les tendances actuelles de l’organisation des classes disperse les élèves plus qu’elle ne les concentre et contribue à cette désacralisation de la parole magistrale : disparition de l’estrade (il y a longtemps déjà…), ilôts de bavardages, culte du powerpoint qui transforme la classe en open space de brainstorming, classes sans tables en éducation musicale (soit…), modularité des places assises par des fauteuils mobiles et tout le fatras des innovations pédagogiques que promeut par exemple le Label STEM school financé par l’Union européenne dans le cadre d’Erasmus +. Sans espace marqué, sans repères, l’école semble appelée à devenir une sorte d’ « utopie », un « non lieu ». Et nous savons que les utopies sont l’autre nom de l’enfer …