
Dans le monde tel qu’il est, tout le monde est d’accord pour dire qu’il convient de se réveiller. Sauf que l’on ne s’accorde pas sur le sommeil dont il convient de sortir. Le mouvement woke, dérivé du verbe to wake (se réveiller) naît aux Etats-Unis vers 2010, favorisant un état d’esprit militant et combatif destiné à protéger les minorités du racisme, des discriminations de tout ordre. Ce mouvement woke a attendu quelques années pour faire une entrée fracassante en Europe où il prend plusieurs formes : l’écriture inclusive, la Cancel culture, les études de genre, le décolonialisme et toutes les manifestations valorisant le respect des communautés et des minorités. De nombreux très bons articles récents dans le Figaro (Eugénie Bastié, Mathieu Bock-Côté) ou dans Valeurs Actuelles en février 2021 ont analysé ce phénomène et je souhaiterais mettre en valeur certains points saillants de cette culture woke qui est, avant tout, le symptôme d’une déliquescence progressiste et progressive de l’Occident.
La culture Woke ou les dérives de l’état de droit
A partir de la mondialisation libérale qui a prôné la « libre circulation des « biens, des capitaux, des services et des personnes », idéal dont l’UE a été le cheval de Troie, les nations et les peuples ont peu à peu perdu de leur homogénéité spirituelle, ethnique et culturelle. Les dirigeants postmodernes ont considéré que l’appartenance culturelle et ethnique ne définissait plus l’appartenance à une nation, que la nation elle-même était un cadre devenu obsolète. Le droit s’est adapté à cette société bigarrée, labile, en mouvement permanent. Chaque Etat est devenu un distributeur de droits segmentés à mesure qu’apparaissaient sur le territoire des communautés différentes. A l’Etat de droit s’est substitué un Etat des droits dont nous observons l’éclatement juridique aujourd’hui dans un communautarisme délétère. Les établissements d’enseignement et de recherche sont infiltrés par cette idéologie communautaire et la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, après avoir demandé au CNRS une enquête sur la pénétration de l’islamo-gauchisme dans les universités, a compris à ses dépens qu’il est des bastions idéologiques qu’il convenait de ne pas toucher.
La culture woke est un reflet de ce droit liquide qui a engendré une société de rencontre, une société du rassemblement aléatoire, au gré des opportunités migratoires, des facilités administratives pour l’acquisition de la nationalité ou autre. La culture n’est plus en effet la voix d’un esprit français, la continuation d’une tradition mais le creuset de l’ensemble des peuples qui « font France » selon l’expression consacrée par Davos-france. La culture woke est devenue l’instrument politique du « vivre ensemble » ainsi que la traduction politique et revendicatrice de cette société de droits qu’elle est censée servir, faciliter et perpétuer.
La culture woke, culture d’une ère postmilitaire
Un homme nouveau doit naître et la culture woke doit en manifester la réalité et la puissance. Cet homme nouveau, dans les plus pures traditions révolutionnaires, doit chasser l’homme ancien assimilé fantasmagoriquement à un être de pouvoir, répulsif, antimodèle du monde postmoderne. Qui est cet homme à expulser du champ culturel, à épurer de la civilisation postmoderne – car il s’agit bien d’ekhpurosis sociale, culturelle ?
L’homme, dans une misandrie sexuée étonnante, est l’objet de tous les rejets par les mouvements féministes : il incarne le violeur, l’assassin, le prédateur, dans une sorte de caricature du libertin de la fin du XVIIIème siècle. L’ère postmilitaire, dans laquelle s’est précipité l’Occident après 1945, a considéré que l’homme, le guerrier était un produit périmé dont l’obsolescence était due à un pacifisme destiné à durer. Avec lui, c’est tout un modèle familial qui a été jeté aux oubliettes : le père de famille honni, la famille traditionnelle consacrée au profit de la famille liquide, recomposée et voulue, la cohabitation des générations sous un même toit qui matérialisait l’oikos avec ses solidarités et sa solidité autour de la figure du père. Cette disparition du père – que ce soit Dieu, le monarque, ou le père biologique – est la grande aventure du davoscène qui s’est ouverte au XVIIIème siècle, s’est poursuivie au XXème par la psychanalyse et la sociologie, deux sciences qui ont contribué à la destruction de la figure symbolique paternelle. Le woke est d’abord cette extraction du père réel et symbolique au profit d’un déracinement individualiste et égotiste.
Le refus inconditionnel de la nature et de l’histoire par la culture woke
Les sources de ce rejet sont philosophiquement lointaines et s’inscrivent dans une pensée idéaliste (le nominalisme, Berkeley, Descartes, Kant, la phénoménologie) puis le déconstructivisme post-68 qui fait de tout phénomène naturel une construction sociale : le sexe et la race en sont les manifestations les plus saillantes.
Le féminisme caricatural du davoscène tardif, à la suites des études de genre (Gender studies) développées aux Etats-Unis, repose sur cette vision misandrique de la société. La marque du masculin doit être effacée de tout, de la langue en particulier d’où l’enjeu du combat pour l’écriture inclusive. Cette écriture, on le sait, est destinée à faire apparaître simultanément les deux genres dans un même mot, notamment les prédéterminants, déterminants ou adjectifs afin d’éviter les discriminations et l’effacement du féminin derrière le genre neutre, de morphologie masculine. Cette innovation orthographique s’est développée dans les associations militantes, les syndicats, les administrations tenues idéologiquement par la gauche notamment à l’Education nationale et dans les Universités sous François Hollande et Najat Vallaud-Belkacem. Le ministère de la Justice l’utilise encore dans ses statistiques sur la mesure de l’incarcération au 1er février 2021. Langue atomisée, très numérique dans sa forme (le fameux « point milieu » de l’écriture inclusive), langue politique et communautariste, elle incarne à merveille le Great Reset sociétal que les militantes féministes souhaitent opérer.
Le sexe n’est pas inscrit dans la nature, dans la biologie. Il est à l’état virtuel en l’homme jusqu’à ce que s’opère le choix, l’arbitrage de la volonté, mythifiée. Le transsexuel est la figure héroïsée de cet individu qui s’est affranchi des lois de la nature. Il est la Volonté par excellence qui a imposé ses propres lois à ce qui a été donné avant lui. Il est le constructeur de lui-même, il a réalisé lui-même son propre artefact.
L’écriture inclusive, c’est là son « génie », inscrit dans la langue cette mutabilité possible du sexe, ce choix perpétuel qui relève d’une perversion désastreuse de l’idéal démocratique. L’Empire de la volonté individuelle, du libre choix doit pouvoir s’étendre jusque dans la sphère du non-choix, les données naturelles, héritées, antérieures à tout arbitrage.
Le concept décolonialiste de « racisé » est l’emblème de cette stupidité : selon la culture woke, la race n’est pas fondée en nature, elle n’est pas un donné. Elle est construite par le regard de l’autre, par l’histoire dite coloniale qui aurait forgé l’identité raciale, des noirs en particulier, à travers l’exploitation économique et l’esclavage. La race n’est donc pas une chose. Il s’agit plutôt une res intra animam existans, une catégorie arbitrairement choisie par le blanc colonisateur pour maintenir la mémoire historique de sa colonisation et en perpétuer le caractère prédateur : les colloques interdits aux blancs en 2016 à Paris 8, la pratique de la non-mixité assumée en 2017 par la députée Obono, l’émergence du mouvement Black lives matter aux Etats-Unis relayé par le Comité Adama en 2020, jusqu’à l’atelier proposé le 6 mars 2021 par une doctorante en sciences politiques « Décoloniser la sexualité » (Valeurs Actuelles du 26 février 2021). Tous ces événements récents contribuent paradoxalement à essentialiser, via le racialisme, le concept de « race » qui n’est pourtant qu’un accident de l’homme, au sens philosophique. Mais c’est toute l’ambiguité de la culture postmoderne. On observe une lutte à mort dans la postmodernité entre la volonté et la nature. Ce qui est naturel n’est pas voulu, sort du champ politique et démocratique, est donc vécu comme une tyrannie et de fait n’a pas droit de cité.
La Cancel culture trouve là sa meilleure définition : l’expulsion rageuse de ce qui est hérité, inné parce que non voulu. C’est une culture de l’anéantissement, du boycott de tout ce qui est étranger à la grille idéologique du communautarisme, de tout ce qui conteste le remplacement de l’Occident par autre chose que lui. C’est la raison pour laquelle la Cancel culture est, à un point spectaculaire, un Great Reset historique : le déboulonnage des statues, la redénomination des rues, la dénomination des établissements scolaires, manifestent ce désir d’expurger de l’histoire les figures qui ont contribué à fonder des nations, ont participé à leur grandeur ou ont mené des guerres contre d’autres peuples. Derrière les actions de Black Lives Matter, de politiques d’extrême-centre divers, se joue la lutte entre l’histoire enracinée dans une civilisation et le roman international dont l’Open Society et le Forum de Davos veulent nous faire devenir les personnages et les acteurs zélés. La Cancel culture est bien cette culture de l’oubli, ce Great Reset de la mémoire pour précipiter l’humanité dans un éternel présent où les espaces et les temps finissent par se mixer, se confondre et s’abolir.
La culture woke ou la dépréciation de l’Occident
La culture woke n’accepte l’Occident que sous sa forme caricaturée. La dévalorisation dans le cinéma du héros blanc viril, la promotion même de l’anti-héros, le règne de la parodie de genres considérés comme vieillis tels que le western, tout cela montre que la culture est reconnue comme culture en Occident parce qu’elle est justement parodie de l’Occident. Alors que d’autres civilisations comme l’Islam, les civilisations hindouistes, la Chine même font de la culture un phénomène promotionnel de leur propre civilisation, l’expression d’une adhésion, en Occident, au contraire, la culture est dominée par l’esprit critique, la distanciation ironique, le recodage. Toutes les mises en scène théâtrales à succès dans les années 2000-2010 qui conjuguaient vulgarités outrancières, explosion des codes, agit-prop et performances, relevaient et relèvent de cet état d’esprit. Il faut non pas seulement faire sauter « les cadres » mais montrer l’inanité de la culture occidentale en la salissant par l’outrance et il faut le dire par le mauvais goût. Sur la culture occidentale traditionnelle, il faut apposer le sceau du davoscène, le toc, l’indigent et d’obscène. La culture postmoderne est fondée sur cette dépréciation et son prix n’augmente qu’à mesure que le celui de l’Occident y est déprécié.
L’anti-intellectualisme d’Etat et la culture du nihilisme
Le woke s’est installé dans le vide laissé par un anti-intellectualisme hérité de l’indifférentialisme révolutionnaire et post-68 mâtiné d’une américanisation de l’Occident. Cet anti-intellectualisme a servi l’idéal égalitaire voire prolétarien qui a sévi pendant tout le XXème siècle. Le concept même de « culture » porte en lui cet idéal. Alors qu’au XVIIème siècle, on parlait encore des Arts, classés en arts majeurs et arts mineurs, la « culture » étant l’antonyme de la nature et synonyme de polissage de la nature brute, la culture désigne aujourd’hui l’ensemble informel constitué de l’art et des divertissements. La culture est un instrument éminemment politique pour étendre la production et la consommation des arts dans la société et matérialise l’idéal démocratique. Il y a de fait une tension évidente entre cet idéal démocratique du génie partageable et le caractère foncièrement aristocratique des Arts : l’Art est d’abord une tekhnè qui implique un talent puis s’approfondit dans l’invention qui implique du génie. Il a été de surcroît porté par un idéal d’imitation de la nature. L’effacement progressif du concept de nature dans la modernité puis la postmodernité a relégué l’Art au simple statut d’expression, de liberté incarnée et de message à caractère politique. L’art est devenu une sorte de maïeutique du moi, son seul sujet et son seul objet. Le woke porte totalement cette vision anti-intellectualiste et psychologisante de l’Art : elle substitue l’informe à la forme, le message au sens, l’urbain à la nature.
La culture woke présente des caractéristiques mortifères et constitue un piège pour les peuples enracinés, soucieux de leur continuité historique. Sous couvert d’ouverture, d’humanisme, de démocratie, de progrès, d’éveil à l’Autre, elle construit une civilisation du Léthé, de l’oubli intégral, préalable à la fin de l’Europe et de l’Occident. Sa culture est précisément l’abolition de toute culture : la disparition de l’Art, bien entamé, et la disparition de la civilité, de l’urbanité, de l’honnêteté au fondement de toute culture. Ce que l’on appelle « incivilité » est bien cette morte lente de la culture, cette décivilisation dont parle Renaud Camus qui disait plaisamment dans un tweet récent, renouant avec l’idéal aristocratique inhérent à tout art : « Creusez les inégalités, lisez un livre ! »
D’accord avec tout. Sauf l’accusation en bloc de »la psychanalyse ». Laquelle a été dévoyée par les perroquets lacanolâtres et est quasi morte. La même psychanalyse dévoyée a aussi accusé les mères. J’ai eu la chance de faire une analyse avec quelqu’un de sage, pondéré, qui m’a sauvé la vie et acceptait pleinement mes remises en cause de certaines théories. Vous devriez écrire »Une certaine psychanalyse devenue un temps hélas majoritaire a déresponsabilis et accusé les parents, au point de réduire le père…. etc, et la mère à une éternelle coupable. »
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