Chroniques

L’extrême-centre ou la Terreur de la France postmoderne.

On pourrait croire que l’épisode politique du Pass sanitaire est un accident du régime, qu’il est un dysfonctionnement soudain et passager d’institutions qui ne répondent plus, qui semblent comme en surchauffe et prises dans une dynamique tyrannique comme elles ne l’ont que rarement été. L’exécutif dispose de parlementaires à ses ordres. Le Conseil d’Etat ne voit même plus les « erreurs manifestes d’appréciation », les disproportions dans les décisions réglementaires, ne défend plus les « libertés publiques », sans compter les copinages qui conduisent à des jeux d’influence affectant la fiabilité et la pleine objectivité des rapporteurs. Seul le Défenseur des droits surnage aujourd’hui dans cet océan de forfaiture politique et de fautes juridiques manifestes. 

Or, cette situation politique est l’aboutissement d’un processus. Les événements qui se déroulent sous nos yeux rappellent singulièrement ce qu’a connu la France sous la Révolution et la Terreur, la véritable Matrice de cette tragique période. 

Il s’agit en effet, dans les deux cas, d’une période de transition politique avec la fin de la Royauté et la fin d’une démocratie libérale, de manière patente aujourd’hui, par la suspension de certaines libertés publiques et la pratique coercitive du pouvoir. Le Conseil de Défense sanitaire (sorte de Conseil de Défense et de sécurité nationale) et le Conseil scientifique, créé le 11 mars 2020, deviennent des organes exécutifs en doublon ou du moins des organes consultatifs en droit mais décisionnels en fait, mettant en place une feuille de route à laquelle se tiennent tous les membres du gouvernement. L’extrême-centre a trouvé son Comité de salut public, le terme « salut », ironie insigne, venant du terme latin salus qui signifie « santé, bon état du corps ». 

C’est aussi une période de transition anthropologique : les deux systèmes sont fondés sur la promotion d’un nouvel homme. La grande réinitialisation de la 4ème révolution industrielle prônée par Klaus Schwab ressemble à s’y méprendre à la grande « régénération » attendue par la Révolution. Philippe Pichot-Bravard dans La Révolution française (2015) évoque une « dictature régénératrice » notamment à partir du 25 décembre 1793 et ajoute : « La régénération de l’homme ne peut être qu’autoritaire, contraignante et si nécessaire, destructrice » (p.199). Cette articulation entre le bien être collectif reposant sur la « vertu civique » de chacun est tout à fait comparable à l’ « esprit de responsabilité » invoqué par le Président et le Premier ministre pour faire accepter une vaccination massive, marque de vertu collective et de souci de l’autre. On retrouve du reste, dans ce qu’il est convenu d’appeler un chantage politique, les manipulations auxquelles se livraient déjà les Révolutionnaires à partir du sensationnalisme de L’Emile (Rousseau) : « Il n’y a point d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté ; on captive ainsi sa volonté même (…) mais il ne doit vouloir que ce que vous vouliez qu’il fasse ». Ce qui est dit de l’élève et de l‘éducation au XVIIIème est tout à fait transposable à l’adresse extrêmement infantilisante et humiliante d’Emmanuel Macron aux Français le 12 juillet. Le peuple français n’est qu’un enfant qu’il convient de domestiquer en prétendant le faire accéder à la liberté. 

C’est aussi la période d’un nouveau contrat social : la naissance du « citoyen », d’une « Assemblée nationale » souveraine et d’une nouvelle sociabilité politique sous la Révolution. Klaus Schwab mentionne expressément la nécessité d’un « nouveau contrat social » à travers notamment une nouvelle sociabilité numérique dans Covid-19. Ce contrat social, qui séduisait les esprits révolutionnaires, a pourtant eu une traduction bien peu démocratique sous les années de la Terreur. Le décret relatif aux « gens suspects » dite loi des suspects du 17 septembre 1793, votée sur la proposition de Merlin de Douai et de Cambacérès, visait à discriminer les citoyens vertueux de ceux qui « soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté ». Un « certificat de civisme », délivré par le Conseil général de la Commune de Paris, attestait de la bonne conduite et de l’orthodoxie politique. Il faut dire que BIllaud-Varenne avait préparé le terrain en déclarant : « En profitant de l’énergie du peuple, nous allons exterminer les ennemis de la Révolution ». Le décret du 1e juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire prévoit la création du « passe sanitaire » donnant accès à ses détenteurs aux lieux mentionnés exhaustivement par le décret du 19 juillet 2021. Cette disposition de nature réglementaire, en attendant le dispositif législatif en discussion à l’Assemblée nationale, précise déjà les caractéristiques du Pass sanitaire et divise les citoyens en deux catégories : les détenteurs de ce Pass, faisant preuve de vertus civiques, et les autres, les réfractaires. Le choix de la vaccination est personnel et peut-être motivé par des considérations médicales, peut-être même collective, tout à fait légitimes et compréhensibles. Mais entendre des journalistes dire qu’il s’agit de rendre la vie impossible aux Français qui refusent de se faire vacciner ne traduit que trop naïvement mais trop exactement l’intention de diviser la citoyenneté. Le certificat de vaccination d’aujourd’hui est le certificat de civisme de 1793. Cela se sent et se sentira malheureusement dans les tensions sociales qui ne manqueront pas d’advenir. Les décisions du gouvernement relatives à l’obligation du Pass Sanitaire sur les lieux de travail vont créer des situations de pressions psychologiques très douloureuses : un employeur, menacé lui-même par un contrôle sur place, sera en droit d’exiger de son employé une vaccination au mépris du droit le plus élémentaire de disposer de son propre corps  et de l’arsenal juridique qui protège l’intégrité de la personne (Code de Nuremberg de 1946-1947, etc …)

Le Président de la République, par l’ensemble des décisions qu’il a annoncées aux Français, dans cette adresse – que je persiste à trouver « historique » pour le coup… – s’inscrit historiquement dans le sillage de la Terreur mais plus globalement dans un régime de la peur qui devient une méthode de gouvernement. Il s’inscrit, ce faisant, dans la lignée d’un machiavélisme politique qui fonde le gouvernement sur l’exclusive potestas, se traduisant par une « crainte » et un saisissement des Français dont ce jeune Président doit certainement se délecter, comme manifestation d’une puissance inespérée. Attention, car le kairos machiavélien –  l’ « occasion » – est réversible lorsque c’est à lui et à lui seul que l’on se soumet. La Terreur s’est historiquement retournée contre ses acteurs. On ne gouverne pas impunément avec l’inimitié politique. Quelque chose de plus solide doit unir le Prince et ses sujets, le Président et le peuple : le respect, l’amitié politique, un sens de la paternité réellement bienveillante dont Emmanuel Macron, jeune homme « pas fini », est définitivement incapable. 

L’effet de miroir est saisissant, à mon sens, entre des deux périodes et Emmanuel Macron demeure, plus que jamais, l’illustration politique de ce que j’ appelais le 3 février 2019 l’extrême-centre, la forme réactualisée, en dépit des apparences, de la violence révolutionnaire. Cependant, loin d’être une perpétuation ou du moins une réitération de la geste Révolutionnaire, la 4ème Révolution industrielle et sa traduction politique manifestée par ce sinistre Pass sanitaire semblent préfigurer la clôture d’un cycle, comme si le serpent finissait par se mordre la queue. L’homme issu de la Révolution est déjà « régénéré » et la tentative du cerveau Davos dont E. Macron est le bras apparaît comme une tentative éperdue d’en reconduire la rhétorique, d’en reproduire le schéma sans avoir un véritable kairos historique ou sans avoir le soutien sociologique d’une classe en dynamique ascensionnelle comme cela a été le cas sous la Révolution française. C’est une énergie du désespoir en dépit des apparences, puisque le système davocratique paraît fort, stable et établi.  Mais qui sait si les choses en resteront là ? Le peuple français, au plus profond de sa soumission, de sa déchéance, manifeste aujourd’hui sur tous les plans, a montré sa force et son désir de persévérer dans l’histoire !

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