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Great Reset, la grande « réparation » ? Pierre HILLARD, Des origines du mondialisme à la grande réinitialisation

Le moment politique que l’on vit avec le Great Reset est un curieux mélange de bêtise, d’irrationalité, d’insignifiance et de gravité, de lourdeur tragique et de solennité. Derrière le spectacle désolant du davoscène, avec ses figurines parlementaires et ses clones exécutifs, il flotte comme une atmosphère mystique que l’on a pu glaner ça-et-là dans des interviews ou allocutions de personnalités de la Caste. Le Président de la République a déclaré dans une interview au Financial Times le 14 avril 2020 : « Je crois que notre génération doit savoir que la Bête de l’événement est là et elle arrive ». C’est cette phrase que Pierre Hillard place en épitaphe de son livre Des origines du mondialisme à la Grande réinitialisation – paganisme, écologie, réparation, covidisme, sacrifice. Son livre est pour ainsi dire un commentaire, une traduction exégétique de cette phrase qui ne peut laisser insensible celui qui en entend tous les présupposés et toutes les implications.

Pierre Hillard part d’un principe : « Les éléments qui assaillent l’humanité initiée par la Covid-19, en lien avec la fameuse grande réinitialisation (Great Reset) propulsée sous l’égide du « Forum économique mondial » de Davos, au tournant des années 2019 / 2020, ne sont que les conséquences matérielles d’un long travail de fond reposant sur une orientation métaphysique bien définie en vue de la destruction d’un monde au profit d’un autre aux accents de la servitude la plus complète ». Le monde à détruire a un visage, celui du Christ, un principe théologique, celui de l’Incarnation, une fin dernière, celle de la Rédemption rendue possible par le sacrifice ultime du Crucifié sur le mont Golgotha. 

Pierre Hillard propse un parcours dans l’histoire de cette destruction. 

L’auteur relève tout d’abord dans l’Ancien Testament les événements qui sont considérés comme annonciateurs de l’arrivée du Christ : la Sainte Trinité dans la Genèse, le pain et le vin apporté par Melchisédech, le bois disposé par Abraham sur les épaules de son fils, le Psaume XXII de David (« ils ont percé mes pieds et mes mains »), la prophétie d’Isaïe sur la Vierge enfantant un fils du nom d’Emmanuel, la prophétie de Michée sur sa naissance à Bethléem. La Bible hébraïque, à l’origine de l’Ancien Testament, annonce l’arrivée d’un Messie pour sauver le genre humain, et non un peuple, des conséquences de la rébellion d’Adam et Eve. Or, ce statut messianique du Christ établi dans le catholicisme est contesté par la tradition juive qui privilégie un Messie guerrier à un Messie souffrant et par l’Islam qui considère le dogme de la Trinité comme « associationniste », niant l’unicité d’Allah, le tawhid, un des principes de l’Islam.

Devant l’affermissement du christianisme qui prend corps dans l’Édit de Constantin en 313 reconnaissant et officialisant le christianisme dans tout l’Empire, la « synagogue aveugle » va se placer dans une opposition farouche en rejetant l’ « union hypostatique », le Christ comme fils de Dieu incarné, notamment à travers le Talmud de Jérusalem (422) et de Babylone (505). C’est à travers la Kabbale, dans trois ouvrages composés du IIIème au XIIème siècle, que va s’affirmer la conception théologique de l’En-sof (Dieu infini ou Être Suprême). Mais c’est Isaac Louria (1534-1572) qui va donner, après le traumatisme du décret de l’Alhambra expulsant les Juifs d’Espagne, un contenu substantiel à la mystique kabbalistique : la création du monde ne s’est faite que par la « rétraction (tsimtsoum) de Dieu. Comme le peuple d’Israël est exilé, la Présence de Dieu (Shekina) est en exil dès l’origine de l’univers, ce qui explique l’imperfection du monde. Louria estime que la réponse à cet exil est la « réparation du monde (Tikkoun olam), le processus par lequel l’ordre idéal est rétabli. Les kabbalistes du XVIème siècle, comme Meir ben Gabbai, vont plus loin : la tikkoun olam consiste à « désinfecter » les souillures de l’héritage catholique. Sabbataï Tsevi au XVIIème siècle et Jacob Frank au XVIIIème siècle vont développer cette vision messianique de la « rédemption par le péché », exaltant même le « saint péché » qui permet d’obtenir un bien en retour. Pierre Hillard observe un point de rencontre entre cette mystique kabbalistique, la Haskala (Lumières juives) et l’idéologie maçonnique imprégnant les Lumières. Le noachisme, popularisé par le rabbin Elie Benamozegh de Livourne au XIXème siècle, instaure une religion de l’humanité, une politique universelle autour d’un messianisme dont le catholicisme fut une perversion et dont le judaïsme demeure le gardien : « Je ne cesserai de répéter que le noachide est bel et bien dans le giron de la seule Église vraiment universelle, fidèle de cette religion comme le juif en est le prêtre, chargé, ne l’oubliez pas, d’enseigner à l’humanité la religion de ses laïques, comme il est tenu, en ce qui le concerne personnellement, de pratiquer celle des prêtres » nous dit Aimé Paillère, admirateur du rabbin précité.

Cette doctrine s’est heurtée à des résistances. Pierre Hillard voit dans la royauté française un « contre-modèle » à cette nouvelle religion de la désincarnation. Pour cela, il s’appuie sur le testament de l’évêque Saint-Rémi (437 ?-533) qui établit une filiation symbolique et spirituelle entre  la royauté « française » et le roi prophète David : celle filiation constitue une sacralisation non seulement de la personne du Roi mais de la famille royale (la « race » royale) et pose les bases des Lois Fondamentales du Royaume. La « Triple donation » de Jeanne d’Arc (21 juin 1429) renforce cette doctrine de l’Incarnation dans le champ politique. Jeanne d’Arc dit à Charles VII « Sire, donnez-moi votre royaume (…) Jehanne donne le royaume à Jésus-Christ. Et bientôt après : Jésus rend le royaume à Charles ». Cet acte fut une manière d’affirmer que le Christ est le vrai Roi de France, le souverain n’étant que le Lieutenant chargé de tenir le royaume en « commende » en conformité avec les Lois de l’Église. 

La laïcisation progressive du politique amorcée par Philippe le Bel dans sa volonté d’imposer les biens de l’Église est poursuivie curieusement par le même Charles VII dans la Pragmatique Sanction de Bourges de 1438. Louis XIV par la Déclaration des Quatre Articles en 1682 renforce l’émancipation du temporel face au spirituel et favorise la constitution d’un Église « gallicane ». La Révolution de 1789 est l’aboutissement de ce processus : constitution civile d’un clergé désormais soumis au politique, désincarnation intégrale par l’ « Être suprême », reflet de l’En-Sof kabbalistique qui remplace Dieu, auquel Robespierre en 1794 demande de vouer un culte ainsi qu’à la « déesse Raison ». L’exécution du Lieutenant du Christ, Louis XVI, se déroule comme un contre-baptême, une « messe noire sacrificielle » nous dit Pierre Hillard : Thomas-Marie Raby asperge les assistants du sang royal « en signe de bénédiction », reprenant le geste de Moïse aspergeant le peuple du sang de taureaux sacrifiés, en signe d’Alliance entre Yahvé et le peuple. Pierre Hillard considère la Révolution française comme la préparation de cette « réparation ». Philippe Pichot-Bravard, dans des pages lumineuses de La Révolution française, expose la rhétorique de la « régénération » dans l’idéologie révolutionnaire et inscrit 1789 dans cette tabula rasa des principes catholiques de l’Incarnation, y compris dans la définition du politique impliqué par les Lois Fondamentales du Royaume. Pierre Hillard trouve les racines de cette « régénération » dans la création de la franc-maçonnerie en 1717 par deux protestants anglais Anderson et Désagulliers reposant sur trois socles : le nominalisme, le naturalisme et la primauté de l’homme. C’est le révolutionnaire Anacharsis Clootz (1755-1794) qui va donner la traduction politique la plus aboutie de cet anticatholicisme dans La République universelle et La République du genre humain : cosmopolitisme autour de la cité bienheureuse de Philadelphie, nation unique, divinité du genre humain, suppression nécessaire du nom « Français », métempsychose, tout doit préparer l’avènement d’un ordre mondial régénéré, pacifié dont la disparition des Nations est le tikkoun olam préparatoire.

Ce projet se manifeste chez Theodor Herzl (1860-1904) qui définit le sionisme dans le cadre du mondialisme : « Si nous voulons réaliser cette idée universelle d’une humanité sans frontières dans les circonstances présentes, nous aurons à combattre l’idée de patriotisme ». Elle trouve une incarnation politique inattendue dans la révolution russe de 1917 à laquelle  Léon Trotski donne un sens internationaliste estimant nécessaire la dilution de tous les États.

Les élites financières anglo-saxonnes (dynastie anglaise Rothschild, les Warburg) voient dans cette régénération mondiale l’occasion de se positionner avantageusement sur les débris des Etats. 

Le projet de Paneurope, élaboré par Richard de Coudenhove-Kalergi (1894-1972) répond à cet idéal. Dans Idéalisme pratique, il affirme : « L’humain du lointain futur sera un métis (…) La race du futur, négroïdo-eurasienne, d’apparence semblable à celle de l’Égypte ancienne, remplacera la multiplicité des peuples par une multiplicité de personnalités » autour d’un christianisme qui est un « judaïsme régénéré » donnant naissance à une aristocratie spirituelle destinée à faire disparaître la démocratie, « pitoyable interlude ». La démocratie crée des majorités factices qui trahissent la libre expression des personnalités. Dans une sorte de nominalisme politique déroutant, Coudenhove-Kalergi affirme : « L’humain noble du futur ne sera ni féodal, ni juif, ni bourgeois, ni prolétaire : il sera synthétique. Les races et les classes dans le sens d’aujourd’hui disparaîtront, les personnalités demeureront ». Pierre Hillard voit dans ces propos la préfiguration funeste de l’invasion migratoire que nous connaissons en Europe et du transhumanisme dont l’homme synthétique » de Coudenhove-Kalergi est une sorte de modèle. L’Europe « orientalisée » de Coudenhove-Kalergi trouve son aboutissement dans une Europe artificialisée, l’homme devenant dans l’idéal de Davos une créature construite sous l’égide de la fusion physique-numérique- biologique. Yuval Noam Harari dans 21 leçons pour le XXIème siècle décrit avec précision ce processus inéluctable d’artificialisation par l’IA dont les politiques européennes constituent le poste avancé. Joseph Retinger (1888-1960) utilise en effet l’Europe comme le marchepied du mondialisme. Soutenu par des financiers comme Nelson et David Rockefeller, il met sur pied une multitude d’institutions (Ligue européenne de la coopération économique, le Mouvement européen, le Comité américain pour une Europe unie, Bilderberg), préparant la CEE en 1957 et l’UE de 1992. Dès lors, les élites mondialisées, financières et intellectuelles, se retrouvent dans des projets communs favorisant la lutte contre l’Incarnation : Arpanet, ancêtre d’internet, en 1966, les Droits de Tirage Spéciaux (panier de monnaies préfigurant une monnaie mondiale) en 1969, l’immigrationnisme (1976 en France), les élections au Parlement européen en 1979 sans oublier Vatican II. En un peu plus de 10 ans seulement, les conditions d’un monde nouveau sont posées en même temps qu’un monde prend fin comme le note Patrick Buisson dans son ouvrage La Fin d’un monde :  virtualisation de l’économie, désincarnation des appartenances, liquéfaction des souverainetés étatiques, mise en place à pas feutrés de systèmes de surveillance numérique (la carte électronique puis le QR Code), dérégulation des marchés, atomisation de la cellule familiale. Comme le rappelle Jacques Attali dans une conférence TED de 2021, il s’agit d’une révolution des codes, sociaux, politiques voire génétiques qui rapproche l’homme d’un artefact, une sorte de Golem postmoderne. Les élites scientifiques, notamment dans les high tech, sont les « Magiciens » qui créent un Empire de « simulacres virtuels », des sorciers qui permettront la dissolution des frontières entre le privé et le collectif préparant une sorte de kolkhoze de données. 

Le Great Reset est donc bien un tikkoun olam, une réparation. Le covidisme en est la voie d’entrée. 

Il faut réparer le gouvernement des hommes en basculant de l’échelon étatique, absurde, « toxique », et inefficace, à l’échelon mondial via l’échelon régional, les « blocs continentaux » comme le suggère Klaus Schwab dans Covid-19, la Grande réinitialisation : l’unification planétaire sous l’égide du droit anglo-saxon, dont l’extraterritorialité du droit américain pour les entreprises est un exemple flagrant, est défendue dès 1885 par la Société fabienne, et assurée par la London School of Economics attachée à mélanger les populations, détruire la classe moyenne, fusionner le capitalisme et le socialisme par un socialisme corporatif au service d’intérêts privés, un miroir presque parfait du  « capitalisme des parties prenantes » de Klaus Schwab…

Il convient également de réparer le monde par la monnaie. Les élites financières savent très bien que l’exponentielle création monétaire induite par le « créditisme » évoqué par Simone Wapler n’est pas tenable et craque de toute part. La monnaie numérique est de ce point de vue une sorte de réinitialisation par un jubilé monétaire mondial. La Monnaie Numérique de Banque Centrale (MNBC) aurait l’avantage crucial de la « programmabilité ». L’ « irrationalité » supposée du consommateur pourrait être jugulée en programmant l’utilisation de la monnaie pour des achats « raisonnables », des biens de première nécessité contre ceux « socialement nuisibles ». « Le cauchemar dystopique est à notre porte » nous annonce Pierre Hillard et la monnaie numérique une potentielle prison à ciel ouvert. Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, souhaite voir émerger une « monnaie hégémonique synthétique », aussi « synthétique » que l’homme nouveau prôné par Coudenhove-Kalergi. 

La réparation du monde est aussi l’avènement d’un nouveau mysticisme. C’est ainsi qu’il faut comprendre, selon Pierre Hillard, le nouveau mysticisme écologique né chez un des cofondateurs du GIEC et mentor de Klaus Schwab, Maurice Strong (1929-2015). Dans un savant mélange de New Age, de bouddhisme tibétain, de syncrétisme religieux mi-gnostique mi-panthéiste, Maurice Strong est à l’origine de la Charte de la Terre rédigée en juin 2000  dont l’objectif est qu’elle devienne « comme les Dix Commandements, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme ». La 4ème Révolution industrielle de Klaus Schwab est le déploiement technique de ces nouveaux Commandements. Elle est tendue vers l’élaboration d’un nouvel homme, une réplique d’Adam, le premier homme, un Golem numérique mais aussi et surtout conçue comme un grand nettoyage planétaire, le numérique étant sensé dématérialiser toute présence, opérer une sorte de « rétraction » de toute matière (choses, déchets etc…)

La réparation du monde passe enfin par un retour de la logique sacrificielle. Pierre Hillard s’appuie sur un ouvrage de Monseigneur Jean-Joseph Gaume qui, dans Mort au cléricalisme ou résurrection du sacrifice humain, évoque le possible retour du sacrifice humain dans une société animée par la haine inextinguible du Verbe fait chair. La décatholicisation conduit immanquablement au retour à la situation d’avant le Sacrifice ultime du Christ. Pierre Hillard dans une formule pénétrante, considère que la numérisation et l’intelligence artificielle ont pour objectif final de « réussir la désincarnation ». Il s’agit en effet d’ « éradiquer la Révélation » en utilisant toute la gamme du poison comme les principes LGBT, l’écolo-hygiénisme, l’endettement, l’ « exécutif unitaire » laissant ainsi libre cours à un monde désancré des lois naturelles, des principes du Décalogue et des Evangiles. A partir de cet effacement, de cette négation, le Messie est à nouveau à attendre. Un Dieu vorace attend désormais des sacrifices nouveaux. La Rédemption est finalement exilée elle-même du monde. Seule la Grande réinitialisation, son artefact, matérialiste et froid, attend ses victimes expiatoires… 

En ouvrant le livre de Pierre Hillard, je savais que je serais bousculé dans certaines convictions ou certaines représentations, politiques, intellectuelles voire religieuses . Le texte, dense et riche, les remarquables illustrations dans les annexes, viennent opérer une relecture précieuse du Great Reset pour laquelle – pour paraphraser Macron dans cette même interview du 14 avril 2020 – il convient d’avoir une « disponibilité, y compris intellectuelle »… 

1 réflexion au sujet de “Great Reset, la grande « réparation » ? Pierre HILLARD, Des origines du mondialisme à la grande réinitialisation”

  1. Pierre Hillard travaille depuis longtemps sur ces sujets et à vous lire, le « grand reset » et le COVID lui permettent de mettre en évidence la pertinence des précédents livres. Ils sont une traduction concrète, tangible, opérationnelle de la puissante idéologie mondialiste et de sa dévastation. Ce livre démontre également une nouvelle fois sans doute qu’un penseur d’une ligne politique en marge de l’université peut s’imposer par un travail sérieux, rigoureux et argumenté et en s’appuyant sur une dialectique solide. Certains ont dû chercher le mot ou la virgule jugés antisémite ou séparatiste ou atteinte à la sûreté de l’État mais a priori en vain : Hillard pèse chaque mot, chaque phrase et j’imagine, qu’en cas de doute, il s’abstient ou corrige de manière à ce que sa démonstration ne soit pas « taxée » ( mot usuel aujourd’hui, très révélateur de la fiscalisation de la pensée..) de complotisme, de séparatisme pire de révisionnisme. Notre camp au sens très large parle souvent de la « bataille des idées ». oui, certes, mais il y a aussi la « bataille du discours » c’est à dire celle de la forme qui est déterminante surtout quand on est à poil ! Nous n’avons plus aucun levier de pouvoir ; il nous reste que celui du syllogisme. Mais Aristote, Thomas d’Aquin et quelques autres nous ont montré qu’avec ce point d’appui, on pouvait soulever la Terre et changer le cours de l’Histoire !

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