La civilisation occidentale a fait le deuil du vrai pour promouvoir le bien, la coexistence pacifique entre les toutes civilisations au nom de la morale suprême du « vivre ensemble ». Cette posture morale rend nécessaire le relativisme des valeurs exercé avec zèle en France depuis quelques dizaines d’années. L’idéologie républicaine, excellent habillage de ce relativisme, est fondée sur un ensemble de mythes constitutifs.
L’histoire naît en 1789. Le parti pris idéologique de l’histoire dominante est de créer une amnésie française pour accréditer l’idée d’une proto-histoire qui va de l’empire romain à la fin de la monarchie où l’homme a expérimenté forcément dans la douleur la tyrannie pour enfin s’en libérer et devenir lui-même. Cette conception somme toute sartrienne de l’histoire sévit encore cruellement aujourd’hui. Les programmes scolaires en sciences humaines ont totalement intégré cette rupture qui relève d’une conception téléologique de l’histoire promettant l’avènement inéluctable du modèle républicain, fruit d’une émancipation progressive de l’individu face à ses déterminismes divers.
Cette émancipation face aux déterminismes a fait naître des sciences qui ont servi ce projet :
- la psychanalyse pour se libérer du Père aliénant et liberticide et plus globalement pour se libérer des déterminismes familiaux et en dernière instance de la famille,
- la sociologie pour se libérer des inégalités naturelles structurantes dans une société et pour mettre à mal toute idée d’ordre social,
- les sciences humaines pour se libérer d’une vision tragique de l’histoire, pour naturaliser le concept de Providence et lui retirer tout ce qu’il peut avoir de religieux.
1789 représente à cet égard l’avènement de l’homme-monde, fermé sur lui-même qui édicte et applique ses vérités. Le souverain décapité s’est incarné en chaque individu, tout et partie d’une souveraineté construite par effet de masse. Les fameuses valeurs républicaines – que l’on serait bien en peine de définir – sont destinées à institutionnaliser ce processus de libération et c’est là tout le paradoxe. Le culte républicain du mouvement ne peut engendrer que des valeurs désincarnées, valables en tout temps et en tout lieu, du vent donc.
Quels sont les présupposés de ces valeurs républicaines ? Pour l’historiographie gauchisante des médias et des universités, toute vérité est par essence tyrannique. Le concept de vérité a été remplacé par celui de volonté, reprenant en cela les présupposés occamistes et nominalistes qui avaient été laissés en jachère au XIVème siècle, repris une vigueur nouvelle au XVIème siècle pour s’éteindre au XVIIème siècle. Le XVIIIème siècle représente en ce sens une rupture historique majeure en effet : on ne veut plus ce qui est bon (volutum quia bonum) mais une chose est bonne parce qu’on la veut (bonum quia volutum). La volonté est première et la valeur lui est subséquente. Ce terme de valeur est bien consécutif au prix que la volonté accorde aux choses. S’il existe des valeurs républicaines, c’est bien parce que nous sommes installés dans un système de volition généralisée (la volonté générale de Rousseau) qui va prescrire des normes autour desquelles va se créer un ordre social.
La république démocratique organise ce conflit des volontés et fédère cette somme des souverainetés individuelles. Ainsi peut-on comprendre la réponse de Rousseau à Hobbes : c’est l’homme social qui est porteur de violence. En effet, rendre philosophiquement la volonté première fait de l’individu l’unité de la souveraineté : c’est le modèle libéral et anarchiste qui survit à bien des égards encore aujourd’hui. A partir de là, il existe consubstantiellement aux sociétés libérales et démocratiques un conflit de souveraineté qui va être arbitré par une supra-souveraineté qu’est l’Etat, d’où le jacobinisme historique qu’a connu la France et dont se sont paradoxalement affranchi les Allemands. Cette concurrence des souverainetés individuelles et étatiques a été étouffée par la conception de l’Etat-Nation qui a réussi à fédérer les souverainetés concurrentes dans un creuset commun. L’individu libre demeure ancré dans un ensemble à la fois culturel et naturel qui justifie un dessaisissement de la liberté anthropologique au cœur de l’idéal démocratique. Le concept de volonté générale et celui de majorité politique qui lui est subséquent permet d’abolir la revendication politique de l’individu pour le transformer en partie d’un tout. Dans l’ordre du politique, l’échelon pertinent de la volonté n’est plus l’individu mais la Nation, cette somme des volontés individuelles qui va constituer une volonté générale représentée par la majorité absolue, relative, ou qualifiée.
Ce relativisme philosophique s’est investi dans tous les domaines. Métaphysique et philosophique au départ, ce relativisme s’inscrit aujourd’hui dans nos mœurs et nos institutions. Ancré dans un idéalisme et un individualisme qui nous coupe de la réalité objective, il a préparé le phénomène de dématérialisation globalisée qui parachève l’hiatus entre la culture occidentale et le réel.