Culture

Idéalisme et déréalisation de l’art contemporain

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Jan Robert Leegte, Blue Monochrome.com, 2008.

Le propre de la création artistique est de traduire le rapport de l’homme au monde. Force est de constater, si l’on suit à grands traits l’histoire de l’esthétique que ce rapport au monde s’est appauvri, désincarné et subjectivisé.

La prééminence du sujet inaugurée par la Renaissance, l’esprit moderne, le cartésianisme au XVIIème et le kantisme au XVIIIème siècle  s’est matérialisée dans la perspective cavalière qui a placé le sujet au centre de la représentation du monde.  A la mimesis objectiviste succède une mimesis d’un genre nouveau qui privilégie le regard sur l’objet regardé. L’art figuratif du XVIIème siècle et de l’école flamande en particulier est une transition remarquable entre ces deux mimesis.

Le Corrège et Watteau viennent introduire le sfumato qui rappelle l’importance prééminente du sujet percevant, le tableau mimant la perception floue d’un regard extérieur à lui. Cette esthétique traduit l’idéalisme grandissant de la période moderne.

L’impressionniste marque une rupture dans la représentation du monde. Le décloisonnement consécutif à la disparition du trait amorce un mouvement de déconstruction du réel objectif. La représentation du monde n’est plus la res extra animam existans mais une représentation de la réalité perçue intra animam existans. Cette phénoménologie picturale se traduit par une déconstruction du monde que le pointillisme vient parachever.

Cette déconstruction de la représentation figurative se poursuit avec le cubisme. Le mouvement cubiste est ambivalent car il trahit non seulement la crise de la représentation du monde, fragmentée par la subjectivité et par la plurivocité des regards mais aussi le deuil du réel. Le cubisme est paradoxalement imprégné d’une conception libérale du monde dans la mesure où Georges Braque considérait que la vérité d’un objet est la somme de toutes les perceptions que l’on en fait. Ainsi, le dépliement cubiste des objets manifeste le désir de saisir toutes les facettes perceptibles d’un objet. On reste dans une phénoménologie mais libérée du point de vue unique. La vérité cubiste revient à la somme de tous les points de vue possibles sur un objet. Dieu étant mort, le point de vue 0 étant désormais impossible, la seule voie possible pour représenter la vérité est de tendre vers l’infinité des points de vue. C’est ce qui explique la fragmentation progressive de l’esthétique cubiste et le culte d’une primitivité régénératrice.

Cette fragmentation cubiste prépare l’art abstrait qui est une forme aboutie de la déconstruction. Le réel étant totalement découplé de sa perception, Aristote ayant laissé place à Platon et à Kant, l’artiste est à un carrefour. Soit son art dit le deuil du réel et le cubisme en fut une des manifestations majeures. Soit l’artiste essaie d’en retrouver une forme non sensible, épurée, dans un idéalisme qui traduit tout à fait la philosophie post-kantienne contemporaine. La culture psychanalytique systématisée en vision du monde, l’idéalisme platonicien croisée avec la phénoménologie post-kantienne a fourni à l’art contemporain ses productions majeures et son lot de supercheries et d’impostures.

La prison philosophique dans laquelle le monde contemporain est enfermée réduit l’art à n’être qu’une production disant le deuil du vrai, représentant un univers intérieur dématérialisé consacrée à l’autocélébration du moi souverain.

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