Institutions

Les droits de l’homme contre le bien commun

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La France est fondée sur un Etat de droit qui est censé protéger les peuples de l’arbitraire du souverain. Les droits de l’homme, issus de cette philosophie des Lumières, n’ont que cette mission. Avec l’individualisme qui se renforce au XXème et XXIème siècle, l’Etat de droit a laissé place à l’Etat des droits.

Dans l’Etat de droit, comme le définit Montesquieu dans De l’Esprit des Lois, les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires s’équilibrent pour protéger le citoyen de l’arbitraire et des passions. L’Etat est animé par un véritable processus démocratique qui permet d’abord au peuple de s’exprimer par le vote mais qui assure une transposition rationnelle de l’expression populaire à travers des instances indirectement choisies par lui pour rédiger les lois, en contrôler l’intelligibilité ou la  légalité : secrétariat général du gouvernement, président des commissions parlementaires, ministres, juges administratifs et constitutionnels. L’Etat de droit assure la qualité, la légalité des lois et son application sur l’ensemble du territoire national en vertu du principe d’égalité devant le service public.

A l’Etat de droit s’est progressivement substituée un Etat des droits. En dehors de son expression démocratique à travers le rituel du vote, l’individu post-68 exige une expression permanente découplée du vote. C’est à cette aune qu’est jugée la qualité démocratique d’une société. La grève, l’expression médiatique, le forum démocratique symbolique que représentent les réseaux sociaux ou les différentes « Nuits debout » sont autant de canaux d’expression démocratique qui échappent au vote. On pourrait presque dire que la république démocratique telle qu’elle est conçue aujourd’hui est découplée du vote. La société s’est accoutumée à l’abstention chronique mais considère que l’essence du démocratique c’est l’expressivité continue et souvent hystérique sur des forums qui donnent l’illusion d’une démocratie directe. On assiste à une psychologisation de la démocratie : est démocratique ce qui permet l’expression et non le choix d’un bon gouvernement. Ce qui fait la démocratie contemporaine, c’est l’expression du sujet, sa catharsis presque et non le choix rationnel d’un objet ou d’un projet. Lorsqu’on parle de « vie démocratique », il s’agit bien d’une déritualisation de la démocratie et d’un culte de l’idéologie participative. La co-construction du programme politique tel qu’on l’a connu à travers Désirs d’Avenir en 2006 relève de cette imposture freudienne et maïeutique où le peuple accouche d’un programme  et dont le chef lié par lui n’est plus que le porte-étendard. Le politique devient ainsi une marque, une coquille vide nourrie par un projet qui lui est extérieur. Surtout il est le porte-parole d’intérêts particuliers qui ne font que s’agréger dans un esprit libéral et en dehors de toute préoccupation globale du bien commun. La démocratie participative est l’agrégation d’intérêts juxtaposés, sans liens entre eux, qui constituent comme par magie l’intérêt général, somme des intérêts des parties.

A partir de là, la société politique est fondée sur la défense des droits, juxtaposés au mieux, concurrents au pire qui ne peut qu’entraîner des tensions et fragiliser le sacro-saint vivre ensemble dont nos républicains font une mythologie. Ce conflit des droits est mortifère et notre société est traversée par des déchirures issues de cette mise en concurrence : le droit du locataire se heurte au droit du propriétaire, le droit des femmes à disposer de leur corps se heurte au droit fondamental à la vie chez l’enfant à naître, le droit d’asile se heurte au droit des peuples à la continuité historique, le droit de grève des fonctionnaires se heurte au droit des usagers à la continuité du service public, le droit à la différence se heurte au droit à l’indifférence pour une même communauté. Cet Etat des droits à engendré une communautarisation juridique et des îlots de droits en archipel si je puis dire. Sauf que les plaques tectoniques bougent et que les espaces juridiques se rencontrent dans une lutte sans merci. Eclatée dans un patchwork de droits concurrents, la société est livrée au lobbying et aux clientèles qui défendent leurs droits avec plus ou moins d’efficacité politique.

De politique, il ne peut plus y avoir lorsque l’offre publique est cantonnée à se segmenter en une demande communautaire qui n’a plus rien à voir avec la préoccupation du bien commun.

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