Le paradoxe le plus savoureux est que cette institution gauchisante et soixante-huitarde qu’est l’Education nationale a enfanté une école fondée sur des principes profondément libéraux.
La destruction de la magistralité, de l’autorité et la dévalorisation du savoir ont conduit les élèves à se comporter comme des syndicats négociant les règles de vie en classe et le contenu des cours.
La structure de l’école s’est transformée en « démocratie-libérale » qui singe la vie démocratique : élection des délégués de classe, participation des élèves à toutes les instances consultatives ou décisionnelles. Il y a dans cette risible parodie de la démocratie une forme de cogestion institutionnalisée. On assiste à un processus de syndicalisation des élèves qui revendiquent de plus en plus un statut, une position, une nationalité ou autre… Le fameux « vous n’avez pas le droit (sic !)» adressé au professeur par l’élève montre que l’élève est un espace de souveraineté à part entière, inviolable et inaliénable, protégé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dans les établissements dits « sensibles » dans un délicieux euphémisme, depuis la fin des années 90 au moins, l’enseignement du français était parfois perçu au mieux comme une agression au pire comme une colonisation injustifiée des esprits indigènes. Les élèvesdes cités « sensibles » reçoivent l’enseignement idéologique des Lumières (en Histoire, en EMC, en Français) pour le retourner contre l’école et justifier au nom des Droits de l’homme la libre pratique de leur religion, la liberté de s’habiller comme ils l’entendent, la liberté même de contester le contenu des cours. Les professeurs sont dans une situation terrible où ils donnent aux élèves avec conviction et souvent naïveté le bâton pour se faire battre. C’est ce qui leur est de plus en plus insupportable d’ailleurs pour ceux qui s’en rendent compte. L’école a naïvement considéré qu’elle avait pour vocation de diffuser les valeurs de la République et la philosophie des Lumières dans une attitude libérale au sens du début du XIXème siècle. Or, notre époque est marquée par la crise de ces valeurs qui par leur universalisme nihiliste ouvrent un espace béant pour des forces destructrices, de l’Islam notamment. L’obsession de la « citoyenneté » et du « vivre-ensemble », montre cruellement que ce libéralisme scolaire ne permet plus de cimenter la microsociété qu’est une école. L’école qui devrait être un guide pour réaliser l’unité d’un pays est devenue le miroir d’une société communautarisée dont les forces centrifuges (mœurs divergences, religion différente) dissolvent tout lien social. Piégée par son libéralisme mortifère, l’école laisse prospérer une violence scolaire qui est la traduction de cette impossible cohésion sociale.
En termes de pédagogie, l’école contemporaine est depuis 1968 enfermée dans un socratisme naïf. La vérité est en chaque individu qui est désormais « la mesure de toute chose ». Le professeur est un Socrate dévoyé qui accouche chaque élève de cette vérité (la sienne) d’où l’inutilité du cours magistral et le culte d’une interactivité permanente. Le professeur n’est plus qu’un maïeuticien qui facilite l’éclosion de la vérité en chaque élève. La décrue du cours magistral et de la récitation vient de cette conception socratique de l’école où l’individu est un microcosme qui contient tout en lui. L’école d’aujourd’hui est de ce point de vue une vrai matrice de l’individualisme libéral.
La pédagogie se transforme en une coproduction du savoir avec l’élève. Comme la vérité ou le savoir n’est plus extérieur à l’élève, l’école orchestre une négociation de la vérité entre l’élève et le professeur. Ce modèle libéral est destiné à atteindre le « juste équilibre » comme Walras parlait du prix d’équilibre. Le professeur est l’offre, l’élève la demande : une politique de la demande se substitue à une politique de l’offre.
Un keynésianisme éducatif qui laisse la porte ouverte à toutes les démagogies…